Le nombre d´or dans l´architecture grecque

Le nombre d´or dans l´architecture grecque : mythe ou réalité ?
Claude Marcel pour Latine Loquere

Filles des nombres d´or,
Fortes des lois du ciel,
Sur nous tombe et s´endort,
Un Dieu couleur de miel.

Paul Valéry, « Cantique des Colonnes ».

I. Définition

– Le nombre d´or est un nombre égal à  (1+√5)/2, soit environ 1,618 et correspond à  une proportion considérée comme particulièrement esthétique. Il apparaît dans la pensée grecque avec Pythagore, au tournant du VIème et du Vème siècle avant J.-C. mais Euclide, dans ses Eléments, est le premier à  développer une théorie de ce nombre dans le passage où il tente de définir la façon la plus logique de couper harmonieusement un segment en deux parties inégales.

– Cette proportion, pour de nombreux artistes comme Léonard de Vinci ou encore Le Corbusier -pour ne citer que les plus célèbres-, donnerait la clef de l´harmonie d´une œuvre d´art.

– Cette croyance est d´autant plus largement répandue depuis la parution dans les années 1930 du livre du Roumain Matila Ghyka intitulé Le Nombre d´Or. Pour cet auteur, les artistes grecs de l´Antiquité utilisaient délibérément le nombre d´or, ou section dorée, pour déclencher l´émotion du spectateur. Cela expliquerait que la statuaire et l´architecture de la Grèce classique (le Parthénon, les Propylées) s´adressent si merveilleusement à  nos sens. Et Valéry fut un des fervents admirateurs de Ghyka, convaincu aisément de la véracité de ses thèses.

– Mais dans quelle mesure n´y a-t-il pas là  un mythe architectural ? Trouve-t-on réellement la proportion divine dans l´architecture grecque ?

II. Quelques propriétés mathématiques :

1°) La section d´or

– La définition géométrique de la section dorée par Euclide est celle qui coupe un segment a + b en établissant une relation telle que : . Il l´appelle « proportion de moyenne et d´extrême raison ».

– Désigné par la lettre grecque φ en l‘honneur du sculpteur grec Phidias, qui l´aurait utilisé pour concevoir sa statue d´Athéna décorant le Parthénon, le nombre d´or est un nombre algébrique incommensurable, irrationnel, aux caractéristiques uniques :
c´est la racine positive de l´équation x2 – x – 1 = 0
pour calculer le carré du nombre d´or, il suffit de lui rajouter 1 : φ + 1 = φ2
pour calculer l´inverse du nombre d´or, il suffit de lui retrancher 1 : φ – 1 = 1/φ

2°) La suite de Fibonaci

– La célèbre suite de Fibonacci, mathématicien du XIIIème siècle, entretient des liens étroits avec φ. Elle est construite sur la raison suivante : chaque nombre de la suite s´obtient en additionnant les deux nombres précédents de la suite. Ainsi la suite partant de 0 est : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34… 

– Or le rapport entre deux termes qui se suivent tend de plus en plus précisément vers φ : 5/3 = 1,666, 13/8 = 1,625, 144/89 = 1,6179…

– D´autre part, on retrouve la suite de Fibonacci dans les puissances de φ :
φ3 = φ2 + φ = 2φ + 1
φ4 = φ3 + φ2 = (2φ+1) + (φ+1) = 3φ + 2
φ5 = 5φ + 3
φ6 = 8φ + 5
φ7 = 13φ + 8
φn = φn-1 + φn-2

– Chaque terme de la série est égal à  la somme des deux termes précédents et les coefficients sont les nombres de la suite de Fibonacci.

3°) Nombre d´or et figures géométriques

– En géométrie, le nombre d´or sert à  la construction de diverses figures, et notamment du pentagone étoilé et du pentagone convexe (pentagramme), figure de référence et signe de ralliement des pythagoriciens.

– Le pentagone régulier est une figure d´or car la proportion entre une diagonale et un côté est le nombre d´or :
 AC/AB = φ.

– Le triangle ABC et le triangle ACD sont tous deux des triangles isocèles dont les longueurs des côtés sont dans le rapport du nombre d´or : ce sont deux triangles d´or.

III. φ dans l´architecture grecque antique

1°) Le théâtre d´Épidaure

– Le cas le plus flagrant est peut-être celui du théâtre d´Épidaure, construit en Grèce à  la fin du IVème siècle avant J.-C. Il y a en effet 55 gradins répartis en deux séries de 34 et 21 rangs ; or ce sont trois nombres successifs de la suite de Fibonacci et les rapports sont très proches du nombre d´or. Les gradins semblent donc partagés en « extrême et moyenne raison ».

2°) La Tholos de Delphes

– A Delphes, la présence de la suite de Fibonacci, déjà  remarquée dans des temples du Vème siècle, a été mise en évidence dans la Tholos de Marmaria, dont les colonnes ont été implantées grâce à  des polygones inscrits dans un cercle, une figure parfaite selon la théorie des Pythagoriciens, car sa composition est régulière.

3°) Le Trésor de Cyrène

– La façade du Trésor de Cyrène, selon une nouvelle restitution, est inscrite dans un carré découpé en rectangles dont les rapports seraient proche du nombre φ.

– La référence au nombre d´or a également été supposée dans la construction du temple dit de Héra II à  Poseidonia (Lucanie), dont la façade s´inscrit dans un ensemble de pentacles assez complexe.

4°) Le Parthénon

– Le plus célèbre des monuments étudiés sous le rapport du nombre d´or est le Parthénon. Pour ce monument, J. Hambidge, F. Lund et E. Moessel, principaux auteurs à  avoir cherché la Divine Proportion dans l´architecture grecque, restituent 3 types de tracés géométriques différents, mais qui font tous appel au rapport (1+√5)/2. Ainsi F. Lund voit dans la façade un pentagone régulier et un pentagramme inscrits dans un cercle, lui-même inscrit dans un carré. Le problème est que l´on pourrait tracer bien d´autres figures à  partir des plans de tous ces monuments et que le nombre d´or semble être présent au même titre que d´autres chiffres très fréquents.

IV. Le nombre d´or, un mythe…

– Le diplomate roumain Matila Ghyka, dans Le Nombre d´or, s´autorise à  fonder l´architecture grecque sur le rectangle à  module φ. Nombre d´auteurs, dans son sillage, ont été séduits par cette thèse qui s´appuie sur les pythagoriciens, et ont eu recours à  la section d‘or pour réaliser leurs oeuvres.

– Pourtant, selon Marguerite Neveux, ce mythe ne résiste pas à  un examen attentif : par exemple, Ghyka se fonderait sur des mesures approximatives. La preuve en est que pour trouver le rectangle d´or dans la façade du Parthénon, il est obligé de prendre quelques marches en plus de la façade elle-même.

– De plus, Ghyka est conduit à  une généralisation abusive de sa théorie à  toute l´architecture grecque et même à  l´architecture égyptienne, alors que l´idée même de nombre d´or apparaît, avec la notion de proportion, seulement à  partir de la géométrie grecque (VI-Vèmes siècles avant J.-C. en Italie du Sud).

– N´est-il donc pas plus prudent de substituer la notion de proportion à  celle, plus systématique, plus biaisée, de nombre d´or ?

– En effet, la recherche de proportions harmonieuses, que ce soit en architecture, dans la sculpture ou même dans le monde, est inhérente à  la civilisation grecque. Pythagore, à  l´aube du siècle de Périclès, a fondé une école de pensée basée sur les nombres et leurs rapports qui a largement influencé la mentalité grecque. En attribuant un nombre à  chaque chose, les pythagoriciens font du nombre le concept central de la nature. Ainsi lit-on dans Jamblique : « les acousmaticiens (élèves des pythagoriciens), dont était responsable Hippase, ont dit du nombre qu´il est le modèle premier de la création de l´univers. » On le voit donc, le nombre est au centre de la pensée grecque, et ce dès l´époque de Pythagore.

– C´est pourquoi on peut relever sans crainte d´interprétation abusive la récurrence de proportions supposées harmonieuses dans les monuments du siècle de Périclès et notamment, si l´on en croit le théoricien latin Vitruve, dans son livre intitulé De architectura, le module √5. Les architectes grecs travaillaient à  partir d´unité modulaire ou modulus, c´est-à -dire du rapport, unique de préférence, qui permet d‘établir des relations numériques entre toutes les mesures d‘un édifice et l‘ensemble. Selon Vitruve qui en parle longuement, l´origine du système modulaire se trouverait dans les proportions du corps humain, dont les membres seraient commensurables entre eux : 1 pied = 1/6 de la taille d´un homme, qui serait elle-même égale à  la largeur de ses bras tendus à  l´horizontale (= 1 brasse). La colonne dorique devait faire, lors de sa création, une hauteur égale à  6x son diamètre, alors que la colonne ionique, sentie comme une silhouette féminine plus élancée, devait faire 8x son diamètre en hauteur. C´est grâce à  ce système rationnel de proportions ou analogia, qui régit tout le bâtiment, qu´on peut atteindre l´harmonie perceptible à  l´œil comme la musique à  l´oreille.

– En somme, le nombre d´or est une réalité mathématique, découverte par les Pythagoriciens et connue, selon toute vraisemblance, des architectes grecs. L´ensemble des monuments qui ont survécu au temps témoigne indéniablement d´une attention aux proportions qui va jusqu´à  l´utilisation de légères distorsions architecturales visant à  créer des effets d´optique allant dans le sens d´une plus grande harmonie encore. Mais l´idée que le nombre d´or est, pour ainsi dire, la pierre angulaire de l´architecture grecque relève d´une systématisation exagérée, historiquement datée. Quant aux calculs vitruviens, ils restent théoriques, et il est rare, dans la pratique, d´arriver à  reconstituer de manière convaincante le système modulaire d´un monument. Il est préférable d´établir ici que l´architecture grecque témoigne d´une recherche de rapports harmonieux et réguliers.

FICHE : Le nombre d’or dans l’architecture grecque antique – Claude Marcel pour Latine Loquere

A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

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