(2015) Olympéa de Paco Rabanne : décryptage d’une publicité

   Si vous êtes amateurs de parfums, ou – penchant moins glamour – de plages de publicités télévisées, vous avez certainement vu passer, l’année dernière, le parfum « Invictus » de Paco Rabanne et son clip télé largement nourri de mythologie antique. Il y a quelques jours, Paco Rabanne a remis le couvert en présentant, dans un long clip de plus de quarante secondes, ce qui semble être l’équivalent féminin du parfum Invictus, judicieusement prénommé « Olympéa ».

R. Delord

Pour commencer, visionnons le clip vidéo :

Passons à l’analyse :

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01. Dès la première image, le décor est planté : un complexe architectural aux multiples colonnades de marbre blanc juché sur le sommet d’une abrupte montagne noyé dans les nuages (qui rappellera sans doute aux geeks trentenaires qui nous lisent, le décor de la série Saint Seya, les chevaliers du zodiaque). Nous sommes donc bien dans l’Antiquité grecque, chanceux mortels invités à découvrir le domaine éthéré des dieux olympiens normalement inaccessible aux simples mortels.

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02. Le second plan nous donne accès au coeur de l’Olympe où, paradoxalement, on semble s’ennuyer mortellement. Un dieu-kouros géant, allongé et acoudé à même le pavé, observe une jeune femme au teint et au vêtement diaphanes qui semble rester de marbre face au regard appuyé du dieu. Mortelle, prêtresse : la nature de cette « créature » reste difficile à déterminer. On peut en tous cas présumer que cette dernière n’est pas une déesse, tant la différence de taille avec le dieu derrière elle est importante. La belle est bien habillée à l’antique, façon peplum, d’une tunique croisée sur le coeur qui met en valeur les plis et replis (sinus) du vêtement, et d’une paire de sandales aux fines brides dorées.

Cette dernière est assise, non sur un vestige archéologique, mais sur une création de designer, un grand fauteuil en mousse de polyuréthane appelé « Capitello » car il imite ma forme d’un chapiteau de colonne ionique (un des cinq cent exemplaires d’une série spéciale en édition limitée qui a vu le jour en 1988). On remarquera en haut à gauche de l’image un monument à colonnade stylisé rappelant le complexe architectural du plan précédent.

capture 03
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03. Même chose au plan suivant qui présente trois jeunes gens désoeuvrés appuyés sur ce qui semble être un fût de colonne et un jeune homme et un dieu adossé à un même portique posé là en dépit de toute autre structure ou bon sens architectural. L’élément central de la scène est le grand escalier qui coupe en deux le sommet de l’Olympe et annonce une arrivée imminente.

Bref, sur l’Olympe, les dieux s’ennuient et les jolies jeunes femmes boudeuses qui sont à leur côté ne semblent plus suffire à les distraire. Heureusement…

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04. Sortie de nulle part une voiture de sport vintage (modèle Ferrari des années 80 ?), à la carrosserie blanche immaculée, se faufile sous le nez d’un Zeus à la barbe de hipster occupé à écouter la musique de son ghetto-blaster à cassettes. Mode du vintage des eighties, quand tu nous tiens !

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05. Une fois à l’arrêt, on s’aperçoit que le bolide est muni de portières papillons d’un genre peu ordinaire, puisqu’il s’agit des ailes blanches du mythique cheval ailé, Pégase. Détail moins réussi, les optiques de phare sont agrémentés de faux-cils qui confèrent au véhicule un aspect plus proche de la décapotable de Barbie ou des voitures du film d’animation « Cars » que du prestigieux bestiaire mythologique.

Aussi blanche et aussi bien carrossée que la Pégase-mobile, la déesse Olympéa fait son apparition sur ses hauts talons, vêtue d’une jup(in)ette* plissée vaporeuse et d’un chemisier sans manche qui n’est vraisemblablement pas à sa taille puisqu’elle na pas réussi à en fermer les boutons. Le système de maintien dudit chemisier reste d’ailleurs un mystère : scotch double face sur le devant peut-être ?

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06. Olympéa qui dépasse d’une tête les nuages, marche le front haut. Elle porte une couronne de laurier et des chaines en or et, sur l’épaule droite, une épaulière du même métal.

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07. Un plan plus large, sur fond de Pégase-mobile aux ailes-portières déployées, donne à voir le bracelet manchette que la déesse porte au bras gauche et qui n’est pas sans rappeler les petites ailettes du dieu Hermès. On découvre également qu’Olympéa est accompagnée de deux jeunes femmes vêtues d’une robe fourreau blanche également très courte mais moins blanches que celle de la déesse (moins blanc que blanc, cela me rappelle quelqu’un !) ; faire-valoir d’Olympéa, ses deux suivantes ne portent bien sûr ni bijoux, ni hauts talons.

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08. Bon, là, le plan avec le mannequin en plan rapproché poitrine surmonté du nom Olympéa en lettres d’or rose majuscules, c’est pour ceux qui n’auraient toujours pas compris que c’était elle Olympéa, la nouvelle égérie (tiens, ça aussi c’est de la mythologie antique : https://fr.wikipedia.org/wiki/Égérie) de Paco Rabanne.

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09. 10. 11. Telle Orphée et sa lyre, Olympéa est capable d’émouvoir par sa beauté les êtres inanimés et en l’occurrence les statues bordant l’escalier monumental. Cheveux courts bouclés retombant en légère frange : nous avons bien à faire à la mode capillaire grecque.

On reconnaît dans les mains de ces statues les attributs des orateurs, des dieux ou des empereurs : le volumen, ancêtre du livre à dérouler, et la sphère symbolisant le monde et le pouvoir qu’on a sur lui.

Enfin, le mouvement de contrapposto des statues renforce encore l’idée de l’attirance exercée par la belle Olympéa sur ces hommes de pierre.

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12. 13. C’est seulement une fois en bas des marches (sorte de montée des marches du Festival de Cannes inversée) qu’Olympéa tire les dieux de leur torpeur olympienne en claquant des mains deux fois. Les habitués de la marque feront facilement le parallèle avec les personnages des autres clips qui claquaient des doigts pour obtenir ce qu’ils voulaient (one million, Lady million…).

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14. La réaction est immédiate : trois dieux bodybuildés à l’air féroce sortis d’une longue léthargie, tendent leur regard vers cette nouvelle déesse.

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15. Champ-contrechamp d’Olympéa vers le décor en face d’elle : on y retrouve le portique sur lequel est maintenant acoudé un dieu barbu qui pourrait faire penser à Poséidon et on discerne, en arrière plan, ce qui ressemble vaguement à des thermes, en tous cas un bassin sur lequel se refflète une lune forcément pleine.

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16. Dans son parcours jusqu’au bassin, Olympéa est filmée de profil. Cela nous permet d’apercevoir – outre les belles gambettes de la déesse – une ancienne colonnade très stylisée composée de fûts de colonnes de marbre noir veinés de blanc aux bases simplifiées, façon tuyaux de Super Mario. On n’évite malheureusement pas le cliché de la colonne tombée à terre, décidément indispensable pour créer l’atmosphère antique et mythologique.

Olympéa, sans le regarder, passe devant un belâtre tatoué (le rugbyman australien Nick Youngquest) assis sur un siège curule que deux jeunes femmes à la blancheur diaphane semblent laver en l’arrosant de leur amphore.

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17-18. Mais le belâtre à la gauche duquel est posée une coupe sportive ne reste pas indifférent au passage de la belle et la suit ostensiblement du regard, provoquant ainsi le courroux des deux jeunes servantes qui, de dépit, brisent leurs amphores sur le sol.

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19. Bien que feignant l’indifférence, le gros plan suivant sur le visage d’Olympéa trahit tout de même, dans un sourire narquois, la fierté orgueilleuse de la déesse.

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20. Olympéa parvient finalement au bord du bassin pavé de marbre. On notera le leitmotiv de la colonne brisée au fond à droite de l’image et surtout la présence imposante du visage sculpté d’Athéna, déesse des arts et des sciences et fille de Zeus (d’où le choix du nom Olympéa ?), surplombant le bassin.

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21-22. Le contre-champ sur l’entrée d’Olympéa dans le bain donne à voir une Olympéa jouant les naïades ou les Aphrodite au bain sous le regard concupiscent du pseudo-Poséidon

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23. Dans un plan américain, la belle nous lance une dernière oeillade malicieuse qui semble annoncer la séquence finale.

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24-25. Le clip semble se terminer par une présentation dynamique du flacon de parfum. Se détachant sur fond noir, le flacon couleur or rose (la couleur des lettres du nom Olympéa en début de clip image 8). Au début du plan, le flacon est présenté de trois quarts, de façon à montrer la couronne de laurier qui enserre le flacon circulaire, puis il tourne sur lui-même pour s’arrêter de face.

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26-27. Sur le principe des blockbusters américains qui présentent de plus en plus souvent une séquence post-générique, le clip se termine par une courte séquence additionnelle, clin d’oeil à la publicité pour le parfum masculin Invictus.

Olympéa est présentée en plan américain en train d’écarter les deux pans d’un voilage aussi vaporeux que sa robe qui pourrait presque apparaître comme la mise en abyme dudit rideau.

La tête haute et avec beaucoup d’assurance, la déesse vient jouer les voyeuses dans les douches des hommes : scène qui renvoie bien sûr à celle – à peine sexiste – de la publicité Invictus à la fin de laquelle le héros-rugbyman retourne aux vestiaires où l’attendent cinq créatures de rêve.

Seule différence, mais siginificative, entre les deux scènes additionnelles du clip Invictus et de celui d’Olympéa : dans le premier, à l’arrivée du rugbyman, le léger voile qui recouvre les cinq jeunes femmes s’envole, suggérant ainsi clairement la nudité des cinq jouvencelles lascivement installées sur le banc des vestiaires ; dans le second, à l’arrivée d’Olympéa, les (seulement) deux hommes présents sont eux surpris sous la douche, et ont le réflexe de cacher de leurs mains leurs attributs masculins.

Vous avez dit égalité des sexes ? Toujours pas dans la pubicité, apparemment !

R. Delord

* jupinette : néologisme pour désigner une jupe d’une longueur risquant de tomber sous le coup de la loi

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A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

4 4 réactions

  1. Je me demandais si l’on ne pouvait pas voir, dans la séquence finale des douches, une sorte d’inversion du mythe d’Actéon : cette fois-ci, c’est la déesse qui surprend au bain deux hommes pudiques. La déesse prend sa revanche. Le parfum donne cette assurance.

  2. A noter que la voiture de sport qu’on voit n’est autre qu’une Lamborghini Miura ; les “cils” ne sont pas une bizarrerie des publicitaires, mais bel et bien d’origine sur cette voiture mythique.

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