Art et antiquité

Prométhée (Gustave Moreau)

Par Charlotte Girardet


GUSTAVE MOREAU (1826-1898, Paris)
Prométhée (1868). Huile sur toile, 205x122 cm. Paris, Musée Gustave Moreau.

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[Le texte complémentaire tiré du Prométhée Délivré d'Eschyle]

Enchaîné à un pic rocheux et à un autel dédié à une divinité antique, Prométhée subit son supplice. L'aigle du mythe a été remplacé par un vautour, un charognard sensé se nourrir de cadavres, et ce dernier a dû contourner Prométhée par derrière pour pouvoir prélever un bout de foie qu'il est en train de mâchouiller. Ses grandes ailes sont hautement déployées comme lorsque l'animal fond sur sa proie. Gustave Moreau nous peint vraiment un cadre dramatique : tout n'est que pics rocheux, sans végétation aucune, et sans grande variété de couleurs (ocres dégradés, dont les sombres sont majoritaires, jaune et bleu clairs). De plus, un vautour est mort aux pieds de l'homme. Gustave Moreau montre à quel point le châtiment est dur et irréversible : alors que les rapaces meurent (et qu'ils ont une fin), Prométhée, lui, est voué à un martyr éternel, puisque les oiseaux sont irrémédiablement remplacés à leur mort…

Mais attardons-nous sur le personnage de Prométhée, qui est la seule figure à irradier : aucune souffrance ne se lit sur son beau visage ou sur son corps d'une merveilleuse anatomie. Sa tête est haute et fixe l'horizon ; une flamme brille au-dessus de lui : c'est le feu dérobé ! Prométhée est d'une étrange solennité et semble concentré, projeté dans un ailleurs. Ary Renan, contemporain de Gustave Moreau, nous explique cela comme ceci : le christianisme fit de Prométhée un précurseur et Gustave Moreau reprit donc ce mythe afin d'en faire une sorte « d'image religieuse et philosophique ». Aussi, cet homme serein fixe le lever du jour (le regard fixé sur les couleurs bleu clair de l'apparition d'un jour nouveau, l'esprit : sur l'apparition d'une ère nouvelle avec la fin de son supplice) et attend la chute de l'Olympe : « Un libérateur approche et 30 000 ans de supplice ne comptent pas pour celui qui prévoit la chute de l'Olympe ».

Ainsi, cette oeuvre, qui de prime abord apparaît comme une peinture se référant à l'époque classique, est éclairée au second par cette analyse judéo-chrétienne qui paraît tout à fait vraisemblable. Gustave Moreau était passionné d'antique, mais il était également croyant et il fit de nombreuses compositions sur la religion chrétienne. De plus, si nous observons les œuvres de l'artiste, nous nous apercevons que ces figures masculines sont toutes, ou presque, de jeunes éphèbes imberbes. Or, ici, nous avons manifestement un homme mûr et barbu : la ressemblance avec le Christ est d'autant plus frappante !

Charlotte Girardet, Novembre 2001

Modifié le dimanche 12 janvier 2003.


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