Art et antiquité

Le rapt de Proserpine (Le Bernin)

Par Charlotte Girardet


LE BERNIN (1598-1680)

Le rapt de Proserpine (1621-1622).

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Ce grand groupe sculptural met en scène Pluton, le Dieu des Enfers, Proserpine, fille de la déesse Déméter (déesse de la terre cultivée) et Cerbère, le chien à trois têtes, gardien des Enfers (qui symbolise le passage entre le monde terrestre et le monde souterrain, et qui, du point de vue technique, sert de maintien physique au groupe). Bernin a choisi de nous montrer le moment où Pluton, tombé amoureux de la jeune et belle déesse, l'enlève afin qu'elle vive avec lui. Le jugement de Jupiter n'est pas encore prononcé et les deux personnages ne savent pas encore que Proserpine partagera ses années en deux, une partie avec Pluton (Automne et Hiver), et une autre, aux côtés de sa mère (Printemps et Eté).

Dans cette scène, tout le dramatique de l'enlèvement nous apparaît : Proserpine se débat –tout en ayant des gestes gracieux- et essaye de repousser son agresseur de la main gauche. Celui-ci n'a qu'un léger mouvement de recul de la tête et il ne cesse d'avancer, sa proie à hauteur d'épaule. Proserpine, elle, n'a plus de force, puisqu'elle ait littéralement soulevé du sol et la contre-courbe, formée par son corps et sa tête projetée en arrière (par rapport à la courbe contraire du corps de Pluton), au plus loin de son agresseur, offre une merveilleuse dynamique, propre au baroque. Ces deux arcs de cercle qui s'opposent : )(, témoignent d'autant plus de la tension et de la lutte entre les protagonistes.

Nous avons vraiment là une étude réaliste des attitudes et des personnages. Le visage de Proserpine est raffiné et finement « dessiné ». De légères larmes roulent sur ses joues. Bernin fait preuve d'une grande maîtrise de technique, opposant différents effets de matière pour les corps : ainsi celui de Proserpine est-il lisse alors que celui de Pluton est plus grumeleux. Le socle , lui est ébauché à la gradine [1]. Ainsi Bernin, par différentes matières, permet à la lumière de jouer un rôle important, soit en s'accrochant, soit en glissant et venant caresser les formes : celui d'animer le marbre. Ce jeu de lumière est aussi rendu par la pilosité (les cheveux de Proserpine se soulèvent de son corps en lutte, et ceux de Pluton sont beaucoup plus ébouriffés) et par la barbe du dieu avec de petites et fines bouclettes créées au moyen d'une perçoire [2]. Mais ce qui me paraît le plus merveilleux, et qui évoque au mieux, à mon sentiment, toute la grandeur de Bernin dans cette sculpture, c'est cette sensualité qui en émane, c'est cette pression des mains de Pluton sur Proserpine. Ses doigts s'enfoncent et serrent la chair délicate et charnue des cuisses et de la taille de la jeune déesse. Quelle sensualité ! Quel érotisme, ais-je même envie de dire ! Bernin nous donne cette envie irrésistible de toucher, de palper, le corps de cette femme de pierre…

Lors de cette création, Bernin avait 23 ans. Aussi, y pouvons-nous voir la fougue de la jeunesse mais il n'en n'était pas à sa première sculpture (celle-ci fut commanditée par le cardinal Scipion Borghese qui l'offrit ensuite au cardinal Ludovico Ludovisi). Cependant, Bernin fut un très grand sculpteur, et s'affirma également en tant qu'architecte (la colonnade de la place Saint-Pierre et la fontaine des quatre fleuves de la place Navone, à Rome, notamment) et ce génie fut tel car il avait une grande conscience du jeu théâtral consacré par ses œuvres qui étaient irrémédiablement animées, et réfléchissait toujours à la place du spectateur devant l'œuvre, et à son émotivité.

(1) Petit marteau à pointes.

(2) Petite perceuse.

Charlotte Girardet, Novembre 2001

Modifié le dimanche 12 janvier 2003.


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