Quand Erasme parlait du port du masque & des gestes barrière.

Il ne s’agissait pas de se protéger de la COVID-19, bien sûr, mais des mesures sanitaires qu’Erasme et/ou ses contemporains pensaient pouvoir être efficaces contre la syphilis.

 

(PÉTRONE) Le mal se communique par le nez.

(GABRIEL) Il y a encore un remède à cela.

(PÉTRONE) Lequel ?

(GABRIEL) C’est de faire comme les alchimistes ; de prendre un masque qui permette aux yeux de voir par de petits trous vitrés, et qui facilite la respiration de la bouche et de nez au moyen d’un tuyau qui, passant sous les aisselles, s’étend derrière le dos.

(PETRONIVS) Afflant naribus malum.

(GABRIEL) Est et isti malo remedium.

(PETRONIVS) Quodnam?

(GABRIEL) Vt quod solent alcumici, addunt personam, quae per uitreas fenestellas praebeat lumen oculis, ori naribusque respirationem, cornu a persona per axillas in tergo porrecto.

(PÉTRONE) Cela irait au mieux s’il n’y avait rien à craindre du contact des doigts, du linge, du peigne et des ciseaux.

(PETRONIVS) Belle, si nihil metuendum est a contactu digitorum, linteorum, pectinis et forpicis.
(GABRIEL) Il vaut donc mieux laisser descendre sa barbe jusqu’aux genoux.

(PÉTRONE) C’est mon avis. Ensuite on fera un édit interdisant d’être à la fois barbier et chirurgien.

(GABRIEL) Vous réduisez les barbiers à mourir de faim.

(PÉTRONE) Ils diminueront leurs dépenses et ils raseront à un prix un peu plus élevé.

(GABRIEL) Soit.

(PÉTRONE) Il sera défendu par une loi de boire dans un gobelet commun.

(GABRIEL) Cette loi ne sera pas bien reçue en Angleterre.

(PÉTRONE) Défense de coucher à deux dans le même lit, à l’exception du mari et de la femme.

(GABRIEL) D’accord.

(PÉTRONE) Défense aux hôteliers de faire coucher les voyageurs dans du draps qui auront servi.

(GABRIEL) Que ferez-vous aux Allemands, qui les lavent à peine une fois par an ?

(PÉTRONE) Ils stimuleront leurs blanchisseuses. En outre, il faudra abolir, malgré son ancienneté, l’image de saluer par un baiser.

(GABRIEL) Optimum igitur barbam usque ad genua demittere.

(PETRONIVS) Ita uidetur. Deinde fiat edictum, ne quis idem sit tonsor et chirurgus.

(GABRIEL) Ad famem relegas tonsores.) Minuant sumptus et aliquanto pluris radant.

(PETRONIVS) Minuant sumptus et aliquanto pluris radant.

(GABRIEL) Esto.

(PETRONIVS) Tum feratur lex, ne quis cum alio poculum habeat commune.

(GABRIEL) Istam uix recipiat Anglia.

(PETRONIVS) Neue duo misceantur eodem lecto praeter uxorem et maritum.

(GABRIEL) Placet.

(PETRONIVS) Ad haec, in diuersoriis ne quis hospes indormiat linteis, in quibus alius indormiit.

(GABRIEL) Quid facies Germanis, qui uix lauant bis in anno?

(PETRONIVS) Extimulent lotrices, praeterea tollatur mos quamuis uetustus salutandi osculo.

ERASME, Colloques, “Coniugium impar” (Le mariage qui n’en est pas un), 1529.

 

Le dialogue [précédent], Le mariage qui n’en est pas un (Coniugium impar), est un violent réquisitoire contre les mariages mal assortis, dont l’unique but est l’intérêt, et un plaidoyer en faveur de l’eugénisme et de l’hygiène des conjoints.

Gabriel, qui vient d’assister à un mariage, rencontre Pétrone: “Je n’ai jamais vu de visage qui sentît moins la noce”, s’étonne ce dernier. Gabriel explique à son ami les raisons de sa tristesse: Iphigénie, – ce nom de victime a sans doute été choisi à dessein, – a été forcée d’épouser Pompilius Blenus, un fanfaron célèbre par ses mensonges, et surtout par sa syphilis. On ne saurait trouver couple plus mal assorti que celui formé par cette “déesse” de seize ans et ce vieillard malade: on dirait une perle enchâssée dans du plomb. Erasme dénonce la folie des parents de la jeune fille: impressionnés par le glorieux titre de chevalier porté par le prétendant, ils n’ont attaché aucune importance à sa maladie honteuse, commettant ainsi un double sacrilège, envers la famille et envers l’Etat.

Franz BIERLAIRE, Erasme et ses Colloques: le livre d’une vie (1977), p.99. Disponible à cette adresse (consulté le 28 août 2020).

 

 

Lire l’intégralité du dialogue.

On trouve aussi le dialogue dans le manuel Lire le latin 3ème de Mireille KO (1995), Hachette Education p.221.

A propos Samuel Tursin

Enseignant de Lettres classiques dans l'académie de Lille.

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