La phrase latine du mois : Parturient montes, nascetur ridiculus mus

La phrase latine du mois : Parturient montes, nascetur ridiculus mus

par Estelle Debouy

 

Est-ce que l’IA générative sonne la fin de la recherche sur internet ? Combien d’articles alarmistes sur le sujet ces derniers mois… A contrario certains se demandent si la montagne n’aurait pas accouché d’une souris1, reprenant ainsi une image qui nous vient des Latins, qui l’auraient eux-mêmes empruntée aux Grecs (Athénée, Les Deipnosophistes, XIV, 1).

Citons Horace qui nous mettait déjà en garde, dans son Art poétique, 136-139, contre les magnifiques promesses qui ne donneraient lieu qu’à de piètres résultats :

Nec sic incipies, ut scriptor cyclicus olim:

« Fortunam Priami cantabo et nobile bellum ».

Quid dignum tanto feret hic promissor hiatu ?

Parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Proposition de traduction :

Ainsi tu ne commenceras pas, comme jadis le poète cyclique, par : « Je chanterai la Fortune de Priam et la guerre célèbre ». Qu’est-ce que ce faiseur de promesses a à raconter, qui mérite d’ouvrir si grand la bouche ? Les montagnes vont accoucher, et c’est une ridicule petite souris qui va naître.

 

Étymologie et culture antique :

Les Alexandrins désignaient par « poètes cycliques » les poètes épiques de la Grèce archaïque qui écrivirent environ un siècle après Homère et entreprirent de compléter ses épopées en célébrant les événements qui précédèrent ou suivirent ceux que chante l’Iliade. Par l’ensemble de ces épopées, ils entendaient former un cycle complètement fermé, d’où le nom de « cycliques » qui leur a été donné.

La « guerre célèbre » est bien entendu une allusion à la guerre de Troie. La prétention est dans le ton (le futur cantabo, l’adjectif nobile, la mise en avant du moi au lieu d’invoquer les muses), mais surtout dans la témérité de traiter un sujet aussi vaste.

Sur le modèle de dignum dictu (qui mérite d’être dit), nous avons ici dignum hiatu, où hiatu vient du verbe hio, -are, -aui, -atum qui signifie « s’entrouvrir » mais aussi « faire entendre par la bouche ouverte ». C’est de là que vient le nom hiatus qui désigne au sens propre l’action d’ouvrir. On le trouve chez Cicéron et Quintilien dans le sens qu’il a aujourd’hui en français.

 

Il n’est pas surprenant de trouver la même image dans les Fables de Phèdre (IV, 24) ; cependant celui-ci n’emploie pas le proverbe auquel il préfère le court apologue que voici en entier :

Mons parturibat, gemitus immanes ciens,

Eratque in terris maxima exspectatio.

At ille murem peperit. Hoc scriptum est tibi,

Qui, magna cum minaris, extricas nihil.

Une montagne accouchait en poussant des gémissements monstrueux, et on en attendait de très grandes choses sur terre. Mais elle accoucha d’une souris.

Ceci a été écrit pour toi, qui promets de grandes choses, mais ne produis rien.

La locution proverbiale parturient montes, nascetur ridiculus mus, apparaît donc en réalité comme un apologue abrégé. Et cela apparaît clairement quand on lit ces extraits de Rabelais ou de La Fontaine. En effet, Rabelais, le premier, s’est inspiré de ce vers d’Horace dans Le Tiers Livre (XXIV) :

La mocquerie est telle que la montaigne d’Horace,

laquelle crioyt et lamentoyt énormément comme femme en travail d’enfant.

À son cris et lamentation accourut tout le voisinage,

en expectation de veoir quelque admirable et monstrueux enfantement ;

mais en fin ne naquist d’elle qu’une petite souriz.

La Fontaine, lui aussi, s’est inspiré de ces mêmes vers dans sa fable « La montagne qui accouche » :

Une montagne en mal d’enfant

Jetait une clameur si haute,

Que chacun, au bruit accourant,

Crut qu’elle accoucherait, sans faute,

D’une cité plus grosse que Paris ;

Elle accoucha d’une souris.

Quand je songe à cette fable,

Dont le récit est menteur

Et le sens est véritable,

Je me figure un auteur

Qui dit : Je chanterai la guerre

Que firent les Titans au Maître du tonnerre. »

C’est promettre beaucoup : mais qu’en sort-il souvent ?

Du vent.

1https://www.neper.fr/2024/05/21/ai-overviews-la-montagne-aurait-elle-accouche-dune-souris/?cn-reloaded=1

A propos ju wo

Professeur de français et des options FCA et LCA dans l'académie de Lille. Passionnée de cultures antiques et de langues anciennes et attachée à leur rayonnement et à leur promotion dès l'école primaire. Co-responsable du concours ABECEDARIVM pour l’association ATC.

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