Par Laurent Caillot
Attentif à toutes les dimensions des langues et cultures de l’Antiquité et aux démarches pédagogiques, Arrête ton char va aujourd’hui à la rencontre de Cyrille Marche, musicien de profession qui s’inspire de la musique antique.

Bonjour Cyrille Marche, pouvez-vous vous présenter et nous parler du projet Ougarit ?
Je suis bassiste, contrebassiste et compositeur, j’ai créé le projet Ougarit en 2020 avec le saxophoniste Alain Angeli (à droite sur la photo ci-dessus). Ce projet a pour but de partager la richesse des cultures musicales de l’Antiquité. Nous proposons des concerts, des spectacles, des ateliers tous publics et scolaires ainsi que des chroniques radiophoniques et vidéos sur ce sujet.

Quel a été votre parcours de formation et de pratique musicales ? Quel(s) style(s) de musique composez-vous et interprétez-vous ?
J’ai une formation musicale dirigée vers le jazz et les musiques improvisées. J’ai étudié dans différentes écoles à Paris comme le Centre d’informations musicales (CIM) ou Arpège, à l’École Nationale de Pantin, au Conservatoire de Paris ainsi qu’auprès de différents musiciens. Comme bassiste, j’ai accompagné ou enregistré avec de nombreux artistes de la scène « musique du monde » et jazz. Par exemple, avec le saxophoniste hongrois Yochk’O Seffer ou la chanteuse orientale Samira Said. En tant que compositeur, j’ai écrit principalement de la musique de scène pour des spectacles jeunesses ainsi que pour des lectures musicales. J’interviens régulièrement sur les créations des compagnies Aller Retour et Paradis Eprouvette situées en Haute-Garonne. Au sein du projet Ougarit, j’écris principalement les arrangements du duo.

Professionnel du spectacle vivant, comment vous êtes-vous intéressé à la musique antique et comment ce projet a-t-il vu le jour ?
Je m’intéresse depuis toujours à l’histoire et plus particulièrement à l’Antiquité. Adolescent j’envisageais l’archéologie comme métier mais ce fut la musique. Finalement l’histoire est devenue mon hobby et la musique mon métier. Comme musicien, naturellement je me suis intéressé aux pratiques et aux théories musicales de l’Antiquité en lisant les travaux de Théodore Reinach, Jacques Chaillet, Emile Ruelle, Annie Bélis ou encore Stephan Hagel et en écoutant les reconstitutions de Pétros Tabouris ou Gregorio Paniagua par exemple.
En 2020, confiné, alors que nous réfléchissions tous à l’avenir, ce projet a commencé à prendre forme. J’ai contacté Stephan Hagel de l’université de Vienne (Autriche) et Armand d’Angour de l’université d’Oxford, tous deux spécialistes de ces musiques afin d’avoir l’autorisation d’utiliser quelques-unes de leurs transcriptions. J’ai alors commencé à écrire des arrangements contemporains à partir de ces mélodies. Il ne s’agit donc pas de tentative de restitution de la musique antique. Ces mélodies influencent et guident nos improvisations entre passé et présent donnant une esthétique jazz à l’ensemble. On peut dire que c’est un jazz palimpseste. Nous jouons au-dessus/autour de traces musicales. Nous sommes des traces dans des traces. C’est de cette façon qu’est né le projet Ougarit.
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En parallèle, j’ai commencé à faire réaliser par des luthiers (où à acquérir) des reproductions d’instruments antiques avec lesquels j’ai travaillé ces mélodies. Il y a donc deux formes de concert : le premier d’esthétique jazz dans un face-à-face basse et saxophone. Le second, La Note Antique, incluant des reconstitutions d’instruments en dialogue avec nos instruments contemporains. Le concert « Ougarit » étant plutôt destiné à la scène jazz et La Note Antique proposé au sein des lieux patrimoniaux et des musées.

Quel éventail historique et géographique couvrez-vous en termes de musique antique ?
Notation de l’hymne à Nikkal provenant d’Ougarit.
Source : Page Wikipedia Les Chants hourrites
Malheureusement, le corpus de notations musicales de l’antiquité est assez restreint et la majorité des notations sont incomplètes. Toutes les notations de mélodies sont en grec sauf une, la plus ancienne, datant de 1400 avant notre ère : la tablette H6 – l’hymne à Nikkal, notée en cunéiforme et provenant de la cité d’Ougarit (ancienne cité phénicienne des bords de la Méditerranée syrienne).
Les notations grecques couvrent une période allant du Vème siècle avant notre ère avec le fragment de l’Oreste d’Euripide à des papyrus datant du IIIème ou IVème siècle de notre ère pour les plus récents et provenant de l’ancienne cité d’Oxyrhynque en Égypte. Le climat de l’Égypte favorisant la conservation des papyrus, plusieurs mélodies ont été découverte dans ce pays, notamment à Hermopolis Magna ou à Contrapollinopolis. D’autres inscriptions sont gravées dans la pierre comme les hymnes Delphiques sur les murs du trésor des Athéniens à Delphes en Grèce (cf. cet article d’Arrête ton char sur le Premier hymne delphique, incluant la notation musicale) ou sur une stèle funéraire pour l’Épitaphe de Seikilos à Tralles dans l’actuelle Turquie. D’autres enfin nous ont été transmises par des manuscrits médiévaux comme les hymnes de Mésomède de Crète par exemple.
Il y a environ 70 fragments musicaux répertoriés pour l’Antiquité. Le titre de notre disque Ougarit « A Way to Hermopolis » sorti en mai 2025 chez Inouie distribution évoque ce parcours géographique.

Pouvez-vous nous décrire la musique antique et ses usages ? En quoi la musique est-elle une dimension essentielle de la vie dans l’Antiquité grecque ?
Dans le monde grec, la musique était très présente dans les sphères de la vie privée ou publique. On entendait de la musique au théâtre bien sûr ou dans les banquets mais aussi au gymnase, sur les fameuses trières pour donner la cadence aux rameurs (contrairement à ce que laissent croire les péplums mettant en scène des tambours), également dans les rangs de l’armée ou sur l’agora.
La musique rythmait les saisons et les célébrations dans les temples. Elle était partout et chaque citoyen grec devait être capable de chanter et jouer d’un instrument. Elle faisait partie de l’enseignement obligatoire à côté des mathématiques et de l’écriture. À Athènes, les enfants scolarisés suivaient donc des cours de musique chez un maître pendant trois années pour apprendre le chant et un instrument au choix : la lyre ou le aulos.
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Les citoyens ne connaissant pas la musique étaient considérés comme barbares. On prêtait à la musique également des vertus thérapeutiques, certaines mélodies jouées au aulos soignaient l’arthrose, d’autres soulageaient les piqures de guêpes. Platon nous apprend dans un dialogue entre Socrate et Glaucon (La République) que certaines mélodies sont bonnes car elles renforcent l’âme et le courage alors que d’autres devraient être interdites car elles conduisent à l’alcoolisme et à la dépravation.
C’est une caractéristique essentielle de la musique grecque : l’éthos. L’idée de l’éthos est fondée sur l’analogie entre le mouvement des sons et les mouvements de l’âme : les émotions. C’est ce qui explique l’influence de la musique sur le caractère de l’homme. Chaque rythme et chaque mélodie étaient pourvu d’un caractère moral et sensible, d’où l’importance de ne pas jouer n’importe quoi ! Par ailleurs, notre système musical occidental descend directement des théories musicales grecques. La gamme de Pythagore est notre gamme majeure actuelle par exemple.

Vous animez de nombreux ateliers pédagogiques auprès de publics scolaires, de musées ou de sites archéologiques, en quoi consiste cette médiation et comment peut-on faire appel à vous ?
Effectivement, au sein du projet Ougarit nous proposons des ateliers adaptés à différents publics. Il s’agit de faire découvrir de façon ludique, et en contextualisant, la place de la musique pendant cette période fascinante. Qui a inventé la lyre ? D’où viennent les notes ? Les participants peuvent expérimenter des reproductions d’instruments comme la phorminx des aèdes, la lyre, la pandura, et bien d’autres. On pratique différents rythmes comme le fameux Péan d’Apollon. On s’initie également à la hauteur des notes avec le monocorde de Pythagore ou à la notation avec l’alphabet grec. Pour les scolaires, des ateliers plus spécifiques peuvent être proposées aux enseignants en fonction de leurs programmes. Depuis 2021, nous sommes intervenus dans 41 lieux, en majorité en Occitanie mais aussi dans d’autres régions (Forum antique de Bavay dans le Nord, Villa Kérylos dans les Alpes-Maritimes, Musée de Jublains dans la Mayenne, Musée de Champollion à Vif dans l’Isère) (cf. « Nos références » sur le site internet Ougarit).

On peut nous contacter de plusieurs manières :
- via le site : www.ougarit.fr et le courriel contact.ougarit@gmail.com
 - pour les collèges et lycées via la plateforme Adage du Pass Culture : À la découverte de la musique de l’Antiquité – Association Aller Retour : lien vers le dossier consultable/téléchargeable. La présentation vidéo des ateliers : YouTube : La Note Antique
 
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Vous réalisez une chronique La Note Antique pour La Vie des Classiques, quelle est l’origine de ce projet ?
Cette chronique a commencé par un format radiophonique. Le projet Ougarit prenant forme, j’ai souhaité réaliser une chronique audio autour de la musique de l’Antiquité. Chaque épisode aborde un thème de façon très concise. La première saison a été diffusée sur les radios campus en France, en Belgique et au Québec sur CKIA FM et Radio City Montréal. Il y a 40 épisodes et ils sont désormais disponibles sur Spotify, Deezer ou Apple podcast.
J’ai souhaité quelque chose de différent pour la nouvelle saison, j’ai donc réalisé deux épisodes au format vidéo au printemps dernier. Laure de Chantal qui dirige La Vie des Classiques m’a alors proposé un partenariat que j’ai accepté avec enthousiasme. Pour la chronique La Note Antique, nous proposons un épisode par mois, et nous en sommes au 4ème. Pour cette nouvelle saison, j’alterne présentation d’instruments et théories musicales de l’Antiquité.

Donnez-vous des représentations intégrant des reconstitutions de la musique antique ou envisagez-vous d’en donner ?
Je travaille actuellement sur une nouvelle création en solo pour la prochaine saison 2026-2027 : MOUSIKÊ. Il s’agira d’un concert théâtralisé avec des reproductions d’instruments. Il sera question de musique bien sûr mais au sens large (comme l’évoque le terme grec Mousikê) incluant poésie, littérature et mythologie avec cette fois une proposition de reconstitution.
Pour conclure, quel est votre coup de coeur de musique antique ?
Le disque Musique de la Grèce Antique de l’Atrium Musicae de Madrid avec Gregorio Paniagua est mon premier coup de coeur. Ce disque n’est pas récent mais c’est mon premier contact avec cette musique. Depuis, la recherche dans ce domaine a beaucoup évolué, certains le trouveront daté mais il est vraiment magique. Aujourd’hui, les enregistrements d’Annie Bélis et l’ensemble Kérylos en France sont très intéressants et font référence. Dans le corpus des mélodies, mon coup de coeur va à la plainte de Tecmesse de Timothée de Milet. C’est un Dithyrambe, c’est à dire un commentaire musical d’un texte poétique écrit vers 360 avant notre ère. Ici c’est l’Ajax de Sophocle. Tecmesse, découvre que son époux Ajax, pris de folie, s’est suicidé. Cette mélodie, tragique, est particulièrement émouvante.
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Cyrille Marche, un immense merci de nous avoir ainsi éclairé sur la musique antique au travers de vos réalisations et projets, avec la passion et le talent qui vous animent. Nous vous souhaitons le meilleur !
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Pour aller plus loin :
- Le site internet de Cyrille Marche, avec plusieurs bandes-annonces musicales
 - Le site internet du projet Ougarit, avec plusieurs bandes-annonces musicales et la brochure Ateliers scolaires
 - L’article du CNRS sur l’hymne d’Ougarit, le plus vieux chant du monde (1400 avant notre ère)
 - Pour écouter l’album d’Ougarit A Way to Hermopolis sur Youtube
 - Pour commander l’album d’Ougarit A Way to Hermopolis
 - Les 40 épisodes de l’ancienne chronique audio La Note antique, sur Spotify ou Deezer
 - La chronique vidéo La Note Antique de La Vie des Classiques (depuis juin 2025)
 - La chaîne Youtube La Note Antique (depuis juin 2025)
 - L’interview musicale de Cyrille Marche par La Vie des Classiques (1er septembre 2025)
 - La brochure Ougarit Ateliers scolaires À la découverte de la musique de l’Antiquité, Cycles 3, 4 et 5 (disponible également sur le site Ougarit ou directement sur cette page Google Drive)
 
NB : les illustrations du présent article ont été fournies par Cyrille Marche, que nous remercions, sauf celle de l’hymne à Nikkal provenant d’Ougarit, issue de Wikipedia
Arrête ton char Langues & Cultures de l'Antiquité
				
		




