Les Etrusques et la mer

LES
ETRUSQUES ET LA MER

par Jean-Claude Daumas, Historien – pour Latine Loquere

Les ressources terrestres de l´Etrurie
alimentent un important commerce à  longue portée que la puissance
militaire des Etrusques a permis de sauvegarder pendant au moins
trois siècles.

LES MOYENS TECHNIQUES

NAVIRES :
la flotte de commerce étrusque était protégée par des navires de
combat , souvent représentés, par exemple sur un cratère de Caeré
(milieu VIIème siècle), une fresque de Tarquinia (470), une stèle
de Felsina (début IVème siècle). Ces navires, mus par 50 rameurs
et à  voile carrée sur mât central, avaient été dotés à  l´avant
d´un rostre (éperon) œuvre de Pisaeus Tyrrheni qui,
d´après Pline l´Ancien, aurait aussi inventé une trompette en
bronze à  embouchure évasée dont le son strident devait terroriser
l´adversaire. Les Etrusques passent aussi pour être les inventeurs
de l´ancre marine.

PORTS : les grandes cités
« côtières » – à  part Populonia directement au bord de
la mer – ont été bâties à  une dizaine de km du rivage, sur ou à
côté de cours d´eau permettant d´accéder à  la mer : le
Fiona pour Vulci, le Marta pour Tarquinia. Cette position en retrait
était une protection contre les pirates que l´on pouvait voir
arriver de loin, et contre les marécages côtiers insalubres
(malaria). Sur le littoral s´élevaient les ports véritables :
Regis Villa pour Vulci, Gravisca pour Tarquinia, Pyrgi pour Caeré
qui avait aussi deux autres avant-ports.

Dans ces villes portuaires vivait
souvent une communauté étrangère installée là , dans un quartier
spécifique, pour faciliter les échanges : c´est le système
des « comptoirs » ou emporion. Des Grecs
se trouvaient à  Gravisca au VIème siècle sous la protection
d´Apollon, Héra, Aphrodite et Démeter ; et des Carthaginois
à  Pyrgi où a été dédicacé (texte en phénicien et en étrusque
des « tablettes de Pyrgi »), vers 500, un temple à
Astarté au travers de l´étrusque Uni pour la protection de la
colonie carthaginoise.

MONNAIE : sous forme de
pièces, la monnaie étrusque fut tardive (fin Vème à  fin IIIème
siècles) ; jusque là , le troc ou une proto-monnaie (lingots
métalliques avec marques) était utilisés.

PIRATERIE OU THALASSOCRATIE ?

L´importance maritime des Etrusques
peut d´abord être symbolisée par le fait qu´ils sont à
l´origine du nom des deux mers bordant la péninsule italienne :
Adriatique (Adria est un port du delta du Pô) et Tyrrhénienne
(Etrusques = Tyrrhenos d´après les Grecs).

Ces derniers
accusaient traditionnellement les Etrusques d´être des pirates, de
cruels pilleurs qui massacraient leurs prisonniers. Cette
dénonciation mérite commentaires :

– La frontière
est floue entre marchands pirates occasionnels et
pirates professionnels : Grecs, Carthaginois et Etrusques ont
pratiqué à  égalité cette activité preuve d´habileté et
volonté.

– les Etrusques
n´ont été de véritables pirates qu´à  la fin de leur histoire
et en mer Adriatique pour capturer des esclaves : leurs
pincipaux rivaux étant les Grecs …

– Les Etrusques, comme les Grecs et
les Carthaginois, ont pourchassé les vrais pirates illyriens afin de
sécuriser les fructueux échanges entre ces trois puissances
maritimes ou avec l´Europe continentale.

– Le vrai motif de l´accusation de
piraterie, c´est tout simplement la lutte entre Etrusques et Grecs
pour le contrôle de la mer Tyrrhénienne qui restera finalement
étrusque : c´est en cela que l´on peut parler de
« thalassocratie étrusque » sur cet espace et ses
promongements. Dans l´ensemble, il y a eu peu d´affrontements :
Etrusques et Carthaginois se sont partagés à  l´amiable la
Méditerranée occidentale ; Etrusques et Grecs ont souvent
commercé sans problèmes dans un même secteur, en particulier dans
le sud de la Gaule. Il n´y a eu en réalité que deux guerres
étrusco-grecques :

Contre les Phocéens,
installés à  Alalia (Aléria, Corse) depuis 560 et renforcés vers
545 par d´autres Phocéens qui ont fui Phocée menacée par
les Perses. Etrusques et Carthaginois installés en Sardaigne
interviennent en 540 : leurs flottes attaquent celle des Grecs
qui perdent 40 de leurs 60 navires et se retirent de Corse, désormais
contrôlée par les Etrusques.

Contre Syracuse : un
conflit beaucoup plus long.

– 524 et 508 : affrontements
terrestres entre Etrusques et Grecs de Cumes.

– Début Vème siècle : 2 raids
sans succès des Etrusques contre les pirates grecs des îles Lipari.

– 474 : Cumes fait appel à  la
flotte de Syracuse, toute auréolée de sa victoire de 480 à  Himère
contre les Carthaginois : la flotte étrusque est quasiment
détruite (casques étrusques avec inscriptions grecques déposés
comme trophées au sanctuaire d´Olympie).

– 453 : La flotte syracusaine
pille l´île d´Elbe.

– 416/415 : 3 navires étrusques
(contingent symbolique) dans la flotte athénienne qui attaque
Syracuse.

– 384/383 : raid syracusain
contre Pyrgi.

Au total, c´est l´affrontement de
deux « thalassocraties » pour le contrôle de la
Méditerranée occidentale qui se trouve finalement divisée en trois
zones : sud-ouest (Carthage), centre (Etrusques), sud et nord
(Grecs). Ces derniers n´ont pas dépassé la Campanie (Pithécusses,
Cumes) lors de leur première vague de colonisation au VIIIème
siècle ; puis ils se sont installés au-delà  de l´Etrurie
lors de la deuxième vague à  partir de 600, date de la fondation de
Massalia par les Phocéens qui essaiment ensuite le long du littoral
provençal, languedocien et catalan.

EN GAULE MERIDIONALE

A partir de 650 et jusque vers 500
environ, au moins 34 sites provençaux et une vingtaine de sites
languedociens et catalans (jusqu´à  Ampurias) ont livré aux
fouilleurs du bucchero nero, la céramique étrusque par
excellence. Sans doute, la plupart du temps ce ne sont que quelques
tessons (sauf à  Bessan 400, Lansargues 200 et bien sûr Lattes et
Saint-Blaise), mais ils apparaissent en stratigraphie avant les
tessons grecs et ils couvrent l´ensemble de ces régions
littorales.

Presque tous ces sites contiennent
aussi des amphores étrusques qui ont tété chargées “ en même
temps que les céramiques étrusques et gréco-étrusques – dans les
ports de Vulci, Caeré ou Tarquinia pour transférer en Gaule le vin
d´Etrurie qui ne sera concurrencé par celui de Massilia qu´après
500. Une douzaine d´épaves de ces navires marchands sont connues
depuis la côte toscane jusqu´aux Baléares, dont une moitié au
large de la Gaule.

Agde : 800 kg de cuivre,
plaques de plomb et d´étain, 1 700 objets en bronze.

Cap d´Antibes :
cargaison datée de 560, trouvée en 1955, comprenant 200 amphores,
40 canthares et 20 oenochoés en bucchero, 15 plats et coupes
étrusco-corinthiens.

Grand Ribaud F  :
cargaison datée de 500, repérée en 1999, fouillée depuis 2002.
C´était un grand navire (30 m de long, 30 à  40 tonnes de
cargaison) transportant essentiellement un millier d´amphores
vinaires de Caeré avec bouchon de liège collé au goudron et
intérieur poissé pour l´étanchéité. Quelques bassins en bronze
et coupes attiques à  figures noires complétaient une cargaison
destinée peut-être à  Lattes ou Saint-Blaise, les deux grands sites
« étrusques » de Gaule méridionale.

SAINT BLAISE, sur une colline à
proximité de l´étang de Berre et du delta du Rhône, a eu des
contacts très précoces avec les Etrusques (dès le VIIIème
siècle ?) pour le sel de l´étang de Lavalduc (entre Berre et
méditerranée). Au moins 400 tessons d´amphores étrusques et 3
000 de bucchero provenant de 150 canthares, 50 oenochoés et
15 coupes = autant d´éléments de services à  boire. Les
céramiques étrusco-corinthiennes n´apparaissent qu´à  partir de
550 : des oenochoés et coupes à  figures noires.

Conclusion : la cargaison-aller =
vin et vases de service à  vin ; cargaison retour = sel (rares
salines en Italie, plus développées en Gaule de Pech-Maho à  Olbia
(Hyères) et sans doute métaux et bois.

LATTES, ville fondée vers 500 qui a
livré de grandes quantités de tessons d´amphores étrusques
(certaines ont été concassées pour édifier une digue face à
l´étang voisin) et de bucchero tardif. Les Etrusques,
présents dès la fondation de la ville, semblent y avoir eu un
quartier à  eux.

AUTRES SITES : à  Pech-Maho (près
de Narbonne), une inscription étrusque sur lamelle de plomb pourrait
bien être un contrat commercial ; à  ses tout débuts, Massalia
semble avoir eu un quartier étrusque ; à  Aléria, le comptoir
étrusque installé après la bataille de 540 a perduré jusqu´en
259 (conquête romaine).

DANS LE RESTE DU MONDE
ANTIQUE

DOMAINE
TRANSALPIN : il est atteint par des voies terrestres qui peuvent
être le prolongement d´ itinéraires maritimes dans le cas de la
vallée du Rhône. Selon les circonstances et les saisons, sont
privilégiés les cols alpins ou la vallée du Rhône.

Le monde
hallsttatien (1er Âge du Fer) a été très tôt en
relation avec l´Etrurie, dès la fin du villanovien :
exportation d´objets en bronze (casques à  crête, boucliers
circulaires, vaisselle de luxe, parures) = échanges entre
aristocraties.

Après 600 – à
l´orée du 2ème Âge du Fer et du monde celtique – les
échanges s´amplifient : aux produits de luxe en bronze
s´ajoutent la céramique (vases étrusco-grecs, amphores vinaires)
et des imitations architecturales : tombeaux sous tumulus,
palais comme celui du Heuneburg (600 à  450) en Bavière.

La Gaule
intérieure est traversée par la « route de l´étain »,
extrait en Bretagne et surtout en Cornouailles. Elle est jalonnée
par des vestiges parfois abondants comme à  Bourges, site princier
qui importe du VIIIème au VIème siècles des produits métalliques
de qualité : parures et vases de service à  vin notamment.

En retour de ce
monde continental, les Etrusques importent bois, peaux, ambre, poix
et résines, sel, laine, et même esclaves et mercenaires.

CARTHAGE :
des relations privilégiées puisqu´il n´y avait pas
d´antagonisme commercial entre les deux thalassocraties. A partir
du VIIème siécle, quantité et diversité des céramiques bucchero
nero
et étrusco-corinthiennes, sans doute liées à  un groupe
d´Etrusques installés dans la capitale punique : l´un
d´entre-eux possédait une tablette d´ivoire avec inscription
étrusque, sorte de « passe-port ». Datés d´environ
300, deux sarcophages absoluments semblables se trouvent l´un à
Carthage, l´autre à  Tarquinia. Enfin, au IIème siècle, des
cippes de bornage avec inscription étrusque dans la vallée de
l´oued Miliane et au Ier siècle, toujours avant J.-C., la présence
d´un haruspice au moment de la guerre de Jugurtha, montre la longue
perduration de la présence étrusque à  Carthage.

EGYPTE : pour
mémoire, la « Momie de Zagreb » (1er siècle
avant J.-C.) signhale la présence d´un haruspice accompagnant un
groupe d´Etrusques.

GRECE : en
dehors de fournitures occasionnelles de blé, surtout après la
fondation du port de Spina sur l´Adriatique fin VIème siècle, ce
qui compte ce sont les dépôts faits dans les sanctuaires les plus
prestigieux : Pyrgi (port de Caeré) et Spina en ont un à
Delphes pour s´attirer la protection d´Apollon pour leur
commerce. A Olympie, comme à  Delphes, les objets déposés sont en
bronze : armes, vaisselle, candélabres et trépieds, trônes.

Et en Diois-Baronnies ?

Des
vestiges étrusques partout, même en montagne à  l´écart des
voies de communication : est-ce possible ?

En vallée du
Rhône, des tessons de bucchero nero et d´amphores étrusques
ont été retrouvés jusqu´au sud de Montélimar, plus nombreux en
Ardèche qu´en Drôme.

Pour les montagnes
des Baronnies, le site de Sainte-Colombe (versant haut-alpin
près d´Orpierre) a livré à  son fouilleur J.-Cl. Courtois, un
fragment de canthare en bucchero, orné d´une svastika et
daté du milieu du VIème siècle.

Pour le Diois, une
trouvaille « hors stratigraphie » sur la commune de
Saint-Roman vaut le coup d´œil : il s´agit « d´une
statuette en bronze filiforme de type étrusque
 » (J.
Planchon, C.A.G. Drôme, p. 593-594).

Deux éléments
isolés sans doute, mais …















A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

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