La langue étrusque

L´ETRUSQUE :
une langue lisible mais incomprise

par Jean-Claude Daumas, Historien – pour Latine Loquere

« On lit facilement les mots
d´une langue qu´on ne comprends pas
 » (Massimo
PALLOTINO)

UNE ECRITURE FACILE A LIRE

L´étrusque s´écrit avec un
alphabet de 26 lettres emprunté vers 700 “ date des plus anciennes
inscriptions étrusques connues – aux Grecs de Cumes, afin de
faciliter les relations commerciales entre les deux peuples. C´est
en fait la graphie eubéenne que les Etrusques ont adoptée, mais
sans l´oméga et en la modifiant quelque peu pour l´adapter à
leur système phonétique.

Des abécédaires [1] sont connus, inscrits sur des bords de tablettes pour
l´apprentissage de l´écriture (sortes d´ardoises avant la
lettre) comme celle de la tombe de Marsiliana d´Albegna. Lire et
écrire étaient évidemment l´apanage de l´aristocratie et
conféraient un réel prestige.

Les Etrusques ont ensuite transmis cet
alphabet aux Osques (300 inscriptions), aux Ombriens (10
inscriptions) et aux Romains. L´alphabet latin “ le nôtre “
est donc issu non pas du grec, mais de l´étrusque : sa
troisième lettre est un C et non un « gamma ».

Les Etrusques écrivaient souvent de
droite à  gauche, parfois de gauche à  droite. Si leur écriture
disparaît vers 10 avant J.-C., la langue continue à  être parlée
dans la sphère religieuse jusqu´aux débuts du christianisme.

UN CORPUS D´INSCRIPTIONS PLETHORIQUE
MAIS RESTRICTIF

Avec environ 12 000 inscriptions,
c´est le second corpus épigraphique d´Italie ; le premier
même pour la période 700 à  0 (3 000 inscriptions latines seulement
face aux 12 000 étrusques) : l´écriture jouait donc un rôle
culturel de première importance chez les Etrusques.

Seulement la plupart de ces
inscriptions sont à  la fois très courtes et stéréotypées. 80 %
d´entre elles sont de type funéraire, limitées au nom du défunt,
à  son âge et à  sa parenté. Les nombreux ex-voto utilisent les
formules du type : « untel m´a donné » ;
« j´appartiens à  â€¦ ». Ces répétitions ont au moins
un avantage : elles ont permis d´établir un lexique de mots
usuels (et de noms de divinités) :

clan (fils) sech (fille)
ruva (frère) puia (épouse) ati (mère) apa
(père) avil (année) lupu (il est mort)

thu (1) zal (2) ci(3)
huth (4) mach (5) sa (6) semph (7) cezp
(8) nurph (9) sar (10)

Les inscriptions longues sont très
rares “ 8 seulement dépassent 40 mots – et posent de vrais
problèmes de compréhension.

1 “ La Momie de Zagreb (1 200
mots ; 500 différents) du début du 1er siècle
avant J.-C. était un « livre de lin » : son texte a
été écrit à  l´encre noire sur un tissu de lin [5]
de 30 cm de hauteur et 14 m de longueur qui fut ensuite découpé en
bandelettes pour entourer une momie égyptienne, avant d´échouer
au musée de Zagreb. Il s´agit d´un calendrier rituel mentionnant
la succession des cérémonies en l´honneur de telle ou telle
divinité.

2 “ La Tuile de Capoue (300
mots lisibles) du début du Vème siècle. C´est une plaque de
terre cuite [8] de 49 x 62 cm (conservée
au musée de Berlin) : autre calendrier religieux indiquant les
offrandes à  faire à  telle date à  telle divinité ; sans doute
un fragment d´un Etrusci Libri.

3 “ La Table de Cortone (206
mots dont 107 noms propres), trouvée en 1992, révélée au public
en 2000, consiste en 7 plaques de bronze [7] (la 8ème manque) : 28,5 x 46 cm. Quelques
passages sont compris : « sous la magistrature de … » ;
zilath mechl rasnal = magistrat le plus important d´une
cité ; petru sceva et sa femme arntlée sont en
liaison avec la famille cusu mais le sens général fait
débat : contrat de location de terrres ? Rituel
funéraire ?

4 “ le Cippe de Pérouse (130
mots) [3] du IIème siècle est un
contrat de répartition de terres entre deux familles : les
afuna et les velthina.

5 “ Les Lamelles de Pyrgi datables
d´environ 500, ont été trouvées en 1964 dans ce port de Caere
(Cerveteri). Elles avaient fait naître beaucoup d´espoir car si 2
des 3 lamelles d´or [4] étaient
gravées en étrusque, la 3ème l´était en punique
(phénicien/carthaginois). Rapidement les étruscologues durent se
rendre à  l´évidence : ce ne serait pas une « pierre de
Rosette » puisque le texte punique, par ailleurs malaisé à
comprendre, n´était pas une traduction littérale de cette
dédicace d´un temple à  Astarté, érigé par un grand personnage
de Caere, thefaric velianos.

La plupart de ces
documents relèvent donc de la sphère religieuse et funéraire :
les Etrusques ont eu une littérature religieuse consignée dans les
libri haruspicini, fulgurales et rituales qui furent traduits
en latin au 1er avant J.-C. mais ont été perdus.

Et une littérature
profane ? Oui, mais elle est seulement évoquée par les auteurs
grecs et romains : Varron parle d´un auteur de tragédies du
nom de volnius et l´empereur Claude fait allusion à  des
historiens étrusques.

UNE LANGUE ISOLEE ET NON COMPRISE

Si les textes courts, simples car
répétitifs, sont désormais aisés à  interpréter, il n´en est
pas de même pour les textes longs car l´étrusque est une langue
sans ressemblances avec toutes les autres langues connues, en
particulier les langues indo-européennes parlées dans le monde
méditerranéen.

C´est un langue « agglutinante »
(comme le basque, le turc, autres langues non indo-européennes mais
sans rapport avec l´étrusque …) où des suffixes s´ajoutent à
la fin du mot, au lieu de fusionner, pour exprimer le nombre, le
cas : clan = fils + ar (pluriel) + asi (datif)
+ clenarasi.

Seule parenté de l´étrusque :
le rhétique de l´Italie centre-alpine (quelques inscriptions du
Vème au IIème siècles) et surtout la fameuse [6]
Stèle de Lemnos. Cette stèle funéraire découverte en 1886,
datée du VIème siècle, montre autour d´un guerrier, une
inscription gravée en « lemnien », langue des habitants
de l´île appellés « Tyrrhènes » par les Grecs.

L´étrusque, le
rhétique et le lemnien sont des isolats tout comme l´ibère et le
basque : des langues sans rapport entre elles, parlées avant
l´arrivée de la famille indo-européenne qui a tout submergé.
C´est pourquoi les innombrables essais d´interprétation ont tous
échoué : « pas de rapprochement miracle avec une langue
sœur qui n´existe pas ! » Et les Grecs et les Romains n´ont
finalement traduit en leur langue qu´une soixantaine de mots
étrusques : bien insuffisant pour contribuer à  une véritable
compréhension d´une langue qu´ils considéraient sans doute
comme comme « barbare ».

ILLUSTRATIONS

1 “ Abécédaire de Marsiliana
d´Albegna

2 “ Alphabets : grec ancien et
classique, étrusque, latin

3 “ Cippe de Pérouse

4 “ lamelles de Pyrgi : langue
punique au centre

5 “ Momie de Zagreb

6 “ Stèle de Lemnos

7 “ Table de Cortone

8 “ Tuile de Capoue








A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

Laisser un commentaire

X