On a testé pour vous: Le grec ancien. Méthode d’apprentissage pas à pas, par Jessica Bourseaux

On a testé pour vous…

Le grec ancien. Méthode d’apprentissage pas à pas

par Jessica Bourseaux

Ellipses, Paris, 2024, 168 p., 18 € (éditions numérique 14,99 €).

Pour en savoir plus, avec sommaire et extrait de 9 p., voir https://www.editions-ellipses.fr/accueil/15192-le-grec-ancien-methode-d-apprentissage-pas-a-pas-9782340085657.html.

 

Le hasard des calendriers ou l’esprit du temps continue de nous offrir de nouveaux manuels consacrés à l’apprentissage des langues anciennes. Celui que propose par Jessica Bourseaux est tout à fait dans l’esprit des récents ouvrages édités par la Vie des Classiques aux Belles Lettres et vise le même public d’amateurs « éclairés », autodidactes, désireux de s’initier de façon autonome au grec ancien, sans tranches d’âges définies. Il combine en quelque sorte le Γράφω. J’écris en grec ancien de Guillaume Diana et Dorian Flores avec le Grec ancien express de Caroline Fourgeaud-Laville, quoique la partie grammaire aborde beaucoup moins de points différents mais propose beaucoup plus d’exercices avec leurs corrigés[1]. L’ensemble suit une démarche très progressive, ouvertement « inductive », dont l’ambition est de mener l’étudiant de l’écriture et de la lecture à la compréhension de phrases courtes et simples.

 

À peu près un tiers du manuel (environ 40 p. sur 120, hors corrigés) est consacré à l’alphabet grec. Après une très courte introduction rappelant les origines et l’histoire de cet alphabet, et présentant cette notion si importante qu’est le ductus (l’ordre et la direction des tracés d’une lettre), l’étudiant est plongé directement dans l’apprentissage des lettres. Chaque page est consacrée à une lettre différente, avec sa prononciation et la consigne de la copier dix fois en majuscule et en minuscule. Un petit encadré, très bienvenu, met en garde sur les particularités graphiques de chaque lettre, les pièges à éviter. Le ductus est indiqué par des flèches, et deux lignes d’écriture, sans interligne, permettent de recopier le modèle directement dans le manuel. Enfin, chaque page se termine par un petit paragraphe culturel, tissant des liens avec le français (orthographe, lexique, sémantique) ou plus rarement avec la mythologie. Toutes les trois à cinq lettres, on trouve un exercice de lecture et d’écriture de syllabes ou de mots récapitulant les lettres déjà vues.

La prononciation est figurée dans l’alphabet latin, les sons étant translittérés pour correspondre à leur prononciation française : par exemple le σ est rendu par tantôt par s tantôt par ss selon l’environnement phonétique. Elle est dite « érasmienne », mais il s’agit en réalité d’un mélange entre la prononciation scolaire francophone (φ comme f, même si l’exemple donné est phobie ; ο ouvert, ω fermé ; diphtongues ευ et αυ prononcés comme des monophtongues) et la prononciation internationale (θ comme l’anglais think ; flottement pour le χ, prononcé comme dans l’allemand Achtung p. 36, ou comme dans l’allemand Ich p. 45). L’autrice ouvre toutefois la porte à une certaine diversité de prononciation, comme le ῥ dont elle rappelle qu’il était roulé, ou l’opposition ο/ω qui était avant tout de durée (p. 45).

Les ductus donnés en exemple sont souvent, et heureusement, assez simples, même s’ils pourraient parfois l’être davantage, par exemple avec les majuscules Θ, Ι, Ξ. Alors que J. Bourseaux rappelle à juste titre que l’on n’écrit pas à la main comme on tape à l’ordinateur, ces trois lettres-là sont présentées avec leur ductus typographique hérité de certaines formes épigraphiques, c’est-à-dire avec des apex ornementaux qui ne sont pas particulièrement discriminants. De même pour les ν et υ minuscules, dont l’opposition repose avant tout sur le fait que la première est pointue et la seconde arrondie – ce qui est bien indiqué p. 25 et 33 –, rendant inutile d’insister sur l’ajout d’une petite boucle au ν ou de deux petites boucles de part et d’autre de l’υ, toutes ornementales. On peut certes avoir envie d’employer un tracé calligraphique, mais c’est le genre de détails auquel s’attache souvent un débutant en leur donnant une importance exagérée au détriment des traits fondamentaux[2].

Suivent un tableau récapitulatif (p. 40) et quelques pages d’exercices, dont un premier test, où il s’agit soit de remplir des tableaux à trous, en ajoutant, de mémoire, le nom d’une lettre, sa majuscule ou sa minuscule, soit de lire de petits textes d’Ésope et d’Hérodote, dont l’autrice donne une traduction (en fin de volume pour Hérodote dans le test no 1) et une version translittérée « à la française ».

On aime :

  • les mises en garde graphiques
  • les exercices récapitulatifs récurrents et variés

On aurait aimé :

  • des interlignes
  • un ductus tendant vers la cursive.

Les chapitres 2 et 3 reviennent sur des particularités de l’écriture. Le chapitre 2, notamment, présente, outre de nouveaux exercices de copie, la variété des écritures antiques avec quelques très beaux exemples, sous forme de dessins en noir et blanc, dont il est dommage que les dates n’aient pas été précisées. Je les donne ici avec leur référence précise et, pour le plaisir des yeux, un lien vers une photo couleur : le papyrus de Bacchylide est du IIe s. apr. J.-C. (P.Lond. Lit. 46, visible ici pour les fragments florentins en attendant que le site de la British Library soit à nouveau opérationnel) ; celui d’Homère du Ier ou IIe s. apr. J.-C. (Berlin, inv. P. 6845, visible ici), l’ostracon athénien (c’est-à-dire un tesson de poterie employé ici pour ostracisé Périclès, visible ici) du milieu du Ve s. av. J.-C., le manuscrit des scholies d’Aristophane, conservé au Musée royal de Bruxelles, de 1498 (c’est en fait une édition aldine imprimée, mais dont les caractères imitent les manuscrits contemporains), et l’inscription de la bibliothèque fondée par Ti. Flavius Pantainos également du Ier ou IIe s. apr. J.-C. (visible ici).

Le chapitre 3 est consacré aux diacritiques, esprits et accents, leur rôle, leur place et leur prononciation, sans trop entrer dans les détails, ce qui est certainement une bonne chose. En revanche, contrairement à ce qui est indiqué dès la p. 19, je crois qu’il vaut mieux se préoccuper des accents dès le début de l’apprentissage du vocabulaire, y compris quand il s’agit simplement de recopier des mots, tant il est difficile de les apprendre par la suite.

On aime :

  • la simplicité de l’exposé
  • les exercices systématiques
  • l’attention portée à la prononciation
  • les encouragements qui ponctuent les exercices

On aurait aimé :

  • des exemples de graphies plus variés ?

Les chapitres 4 à 9 sont consacrés à l’acquisition des bases grammaticales, à commencer par la conjugaison des verbes thématiques de type παιδεύω (chap. 4) puis ce gros morceau que sont les déclinaisons (chap. 5 à 9). L’ensemble est assez progressif, notamment la présentation des déclinaisons qui se fait en plusieurs temps : l’explication du principe des cas et des désinences casuelles, par opposition au principe de la place des mots du système français (chap. 5), la présentation des cinq cas du grec ancien (chap. 6), la 2e déclinaison masculine (chap. 7), neutre (chap. 8) et la 1re déclinaison (chap. 9). Chaque chapitre commence par une phase d’observation des phénomènes grammaticaux à partir de mots et de phrases en grec construit. Suivent des explications et des exercices, souvent de traduction mais aussi de transformation, reposant également sur des phrases en grec construit. Le tout procède d’une méthode tout à fait classique d’enseignement. On n’y trouvera rien des méthodes dites « actives » qui se développent en ce moment, ni rien de particulièrement ludique. Mais cela ne devrait pas troubler le public cible qui sera sûrement plus sensible à la faisabilité des exercices.

Signalons simplement quelques points surprenants :

  • les exercices d’analyse et de traduction invitent à noter les cas au-dessus des mots grecs, et les fonctions en-dessous, mais la disposition des lignes à remplir n’est pas vraiment adaptée ;
  • le datif est présenté comme pouvant exprimer tous les types de compléments circonstanciels (p. 80), ce qui est assez réducteur dans la mesure où l’accusatif et le génitif, même seuls, sont aussi amenés à en exprimer certains ; il est vrai que les exemples choisis dans les phrases à traduire ne proposent que des CC au datif ;
  • l’autrice attire l’attention sur les articles p. 87 dans le chapitre consacré à la déclinaison, mais ils apparaissent dès la p. 80 dans celui consacré aux cinq cas ; mais bis repetita placent!
  • la démarche inductive a peut-être des limites : dans le chapitre 8 consacré au neutre, quand il s’agit de reconnaître les désinences propres à la 2e déclinaison neutre alors même que les mots ne sont pas encore connus, il peut être difficile d’identifier τῷ σταδίῳ ou τῶν δένδρων comme des neutres[3];
  • même si la présentation du principe de la déclinaison se fait en deux ou trois étapes, tous les cas sont étudiés en même temps, si bien qu’il faut sans doute déjà un bon bagage grammatical en français pour passer ce cap important avec sérénité ; comme le verbe εἰμι n’est pas encore donné, l’étude du nominatif attribut du sujet est repoussé au chapitre 10 et n’est abordé que très succinctement.

On aime :

  • la clarté des explications et des processus cognitifs à mettre en œuvre
  • les phases d’observation sur un petit corpus en grec construit avant les explications détaillées
  • les injonctions à la mémorisation
  • le nombre des exercices

On aurait aimé :

  • toujours plus d’exercices, plus variés
  • des explications plus détaillées sur certains points de grammaire française

Enfin, un dernier chapitre clôt l’ensemble. Bien qu’il s’appelle « Le texte », il est consacré à la conjugaison du verbe εἰμι, aux adjectifs de première classe (déclinaison et règles d’accord), à la ponctuation, et seulement après à l’approche d’un texte qui avait déjà été partiellement proposé à la lecture à la fin du chapitre sur l’alphabet (p. 49) et que l’on nous demande maintenant de traduire en utilisant les connaissances accumulées et la méthode enseignée.

L’ouvrage est ponctué par dix tests qui permettent de faire le point sur ce qui a été appris au fur et à mesure. Il est complété par les corrigés de tous les exercices (p. 133-153), et par un petit appendice lexical (p. 155-162) et grammatical (p. 163-167).

On aime :

  • le grisé des pages de corrigés, qui les rendent faciles à retrouver
  • le vocabulaire rangé par leçon et rassemblé par ordre alphabétique

On aurait aimé :

  • un rappel du tableau alphabétique à la fin, de façon à le retrouver facilement

C’est donc un manuel d’initiation au grec, sous forme de cahier d’activités, sans prétention et assez bien tourné. Selon le bagage grammatical de chacun, certains « pas » pourront paraître un peu grands, mais les objectifs raisonnables qui sont fixés donneront à un amateur une idée de la langue sans trop entrer dans ses difficultés, charge à lui de voir s’il veut approfondir en suivant des cours ou en utilisant un autre manuel comme l’Hermaion pour une approche approfondie ou le Grec ancien express pour approche… express. C’est toujours bienvenu. On espère qu’il trouvera son public : bien adapté au niveau des collégiens, le prix (et une présentation aérée mais un peu austère ?) dissuadera probablement les collègues de le faire acheter aux élèves ; quant au contenu, il est sans doute trop limité pour qu’il serve de support à des étudiants même non spécialistes. Mais les autodidactes y trouveront leur compte.

Merci à Julie Wojciechowski pour ses conseils et à l’autrice pour la mise à disposition d’un exemplaire.

 

[1] Ce manque a été pallié par des exercices complémentaires mis en ligne sur la Vie des Classiques, accessibles en étant membre du Club (gratuit).

[2] Comme dans le Γράφω, mais dans une moindre mesure, on peut regretter le fait que le ductus ne tende pas vers la cursive, l’autrice précisant même que lier les lettres n’est pas l’usage – ce en quoi elle a raison, mais cet usage n’est pas un dogme et pourrait changer. Beaucoup de mes remarques sur la cohérence entre les tracés des majuscules et celles des minuscules, faites pour le Γράφω, sont valables. Penser la cursivité de l’écriture permettrait de clarifier la forme de certaines lettres, par exemple celles du ζ, qui certes « ressemble à un C muni d’une boucle » (p.16), ou du ξ, qui est « comme un 3 à l’envers » (p. 26), mais qui sont surtout la même séquence des tracés que pour leurs majuscules respectives, notées de façon cursives avec, pour le ξ, des ligatures internes entre chaque trait. De même pour le σ médian dont l’appendice ne peut définitivement pas être tracé de gauche à droite et en premier (p. 31), puisqu’il s’agit d’un trait qui ligaturait avec la lettre qui suit – reste de l’élément supérieur du sigma lunaire.

[3] La règle τὰ ζῷα τρέχει est mentionnée à cette occasion, p. 99.

 

(Cet article, légèrement modifié, a été initialement publié sur le carnet de recherches La Question du Grec.)

 

A propos Benoît Laudenbach

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