Prat’hic #19 : Comment monter une vidéo de karaoké en latin ?

Vos pratiques sont fantastiques ! Régulièrement, ATC donne la parole à des enseignants pour qu’ils nous fassent découvrir une activité menée en cours de langues anciennes.

 Aujourd’hui nous partons à la rencontre des élèves du lycée international de Boston* et de leur professeur Victorien Coquery, qui propose à ses élèves de traduire en latin une chanson de leur choix afin d’en proposer une version au format karaoké que l’on pourra, si les élèves le souhaitent, publier sur YouTube. 

*zone Amérique du Nord de l’AEFE

En Bref

Bonjour, pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’activité “monter une vidéo de karaoké en latin”  ?

Salvete omnes ! L’activité consiste à impliquer les élèves latinistes dans la réalisation d’une vidéo de karaoké reprenant une chanson de leur choix. Elle permet de mobiliser compétences linguistiques, connaissances de civilisation et savoir-faire numériques autour d’un projet collectif où chaque élève peut trouver sa place. 

 

Avec quelle classe l’avez-vous menée ? 

J’ai mené cette activité principalement avec des classes de quatrième d’une dizaine à une petite vingtaine d’élèves latinistes du Lycée International de Boston. Je l’ai proposée également à un groupe de deux élèves hellénistes de terminale, avec des modalités légèrement différentes (concentration sur la dimension linguistique). Dans notre établissement, les élèves commencent le latin en quatrième et le grec en troisième. 

 

Aux origines du projet

Quelle est la genèse de ce projet ? 

À l’origine du projet, une vidéo de la chanson “Call me maybe” adaptée en latin réalisée par un collègue anglophone et disponible sur YouTube (“Voca me forsan”). Cette vidéo met en scène Didon cherchant désespérément à obtenir d’Énée un appel, un message. Pour surprendre les élèves, j’ai extrait les paroles latines de cette chanson afin de les leur présenter comme un poème écrit par une obscure poétesse du Ier siècle dénommée Carolina Regina Iapyx. Peu à peu, certains élèves me font remarquer la similarité singulière du poème avec les paroles d’une célèbre chanson contemporaine que je feins de ne pas connaître. À la fin de notre séance de traduction, je leur indique que le poème a été récemment mis en musique et je leur montre la vidéo de karaoké qui donne le fin mot de cette supercherie. Leur réaction est généralement très enthousiaste et je leur propose de faire de même avec une chanson de leur choix. 

 

Quels objectifs vous étiez vous donnés ? 

  • Mon premier objectif était d’impliquer les élèves dans une activité amusante qui montre le plaisir qu’on peut avoir à traduire du latin, y compris dans le sens du thème, la transposition de réalités contemporaines dans le monde antique relevant d’une forme de jeu intellectuel non dénuée de complicité. 
  • Le deuxième objectif était linguistique : en guidant les élèves à travers la traduction en thème d’un texte qu’ils connaissent et aiment, je pouvais approfondir des points de détail, souligner des nuances de traduction ou des tournures idiomatiques, avec parfois le recours à des réalités antiques équivalents plus ou moins exacts de réalités d’aujourd’hui. 
  • Le troisième objectif était de permettre aux élèves de s’intéresser à la civilisation romaine de manière pratique. Pour le tournage de la vidéo, ils ont dû trouver des costumes (toge, couronne de laurier…), adapter des personnages mythologiques ou divins (Énée, Cupidon, Vénus…), choisir des accessoires (lyre, faisceau de licteur…). 

 

Faber fit fabricando

Qu’ont-eu à faire les élèves avant l’activité ?  

Une fois la chanson choisie par les élèves, j’en ai réalisé une traduction en latin que nous avons ensuite expliquée en cours. Je suis ouvert aux propositions des élèves pour modifier les paroles en fonction de leur connaissance du texte original, ce qui me permet de mettre en valeur des nuances de sens en latin. Pour simplifier la tâche, il est possible de faire choisir aux élèves parmi une liste de chansons présélectionnées par l’enseignant. Nous avons déterminé les scènes à filmer pour chaque moment de la vidéo et le rôle de chaque élève. 

Dans certains cas, j’ai demandé aux élèves de filmer certaines scènes chez eux, ce qui était un préalable pour qu’ils me montrent leur motivation réelle pour le projet : cela évite que les élèves le choisissent juste pour s’amuser. 

(Temps : deux séances environ, selon la longueur de la chanson et la complexité des paroles.)

 

Qu’ont-eu à faire les élèves pendant l’activité ?

Le jour du tournage, chaque élève est venu avec les accessoires liés à son rôle (toges, arc de Cupidon, lauriers de César, robes des amies de Didon, costumes des marins d’Énée…). Nous avons ensuite tourné les scènes une par une avec l’aide du responsable multimédia de notre établissement. Même à plusieurs adultes, il s’agit du moment le plus sportif du projet, puisqu’il faut faire en sorte que les élèves soient efficaces dans leur rôle tout en gardant un œil sur ceux qui ne sont pas dans la scène en cours de tournage. 

(Temps : une séance complète)

Remarque : Dans un cas, les élèves se sont enregistrés en train de chanter en latin ; dans l’autre, nous avons gardé l’audio de la chanson d’origine et simplement ajouté les sous-titres latins. En cas d’enregistrement audio des élèves, je prévoirais une séance supplémentaire et je solliciterais le ou la collègue de musique. 

 

Quel a été le rôle du professeur pendant l’activité ?  

Au total, le travail qui m’a été nécessaire a été le suivant : faire choisir une chanson aux élèves ; traduire la chanson en tenant compte du nombre de syllabes de la chanson d’origine ;  expliquer les paroles en classe ; organiser le tournage en répartissant les rôles de chaque élève ; veiller au bon déroulement du tournage ; monter la vidéo en y ajoutant les sous-titres. 

 

Les élèves ont-ils gardé une trace écrite ? 

Les élèves gardent une trace écrite du texte de la chanson qui leur est distribué et une trace vidéo à travers la finalisation du projet qu’ils peuvent retrouver sur YouTube. 

 

Quelle implication des élèves ?

Les élèves ont été très impliqués. Certains élèves se prêtent au jeu, d’autres ont plus de mal à se concentrer une fois qu’ils sont déguisés. Ils sont généralement très motivés par l’idée qu’ils vont pouvoir réaliser une vidéo. Je demande un accord des parents pour la publication éventuelle de la vidéo sur YouTube pour ne mettre aucun élève mal à l’aise. 

On fait le bilan

Quel est le ressenti du professeur ? des élèves ?

J’ai pris beaucoup de plaisir à cette activité, à la fois parce qu’elle me permettait de refaire un peu de thème latin, et parce qu’elle m’obligeait à rejoindre les élèves sur des références de leur génération (je ne connaissais pas la chanson “Best of both worlds” ni Hannah Montana). Les élèves semblent avoir passé de bons moments. Le plus sympathique est d’avoir un souvenir collectif de l’année de latin, qui pourra être montré aux élèves des générations suivantes. 

 

Les élèves ont la parole : avez-vous des témoignages d’élèves à nous partager ?

Pendant l’expérience du karaoké latin on a eu un mixte d’histoire, de vocabulaire et de karaoké. Tout le monde a eu une très bonne expérience différente des autres cours de langues. Marius

L’expérience de créer un karaoké en latin à partir d’une chanson populaire est parmi les meilleurs moments de ma carrière de latiniste. Tout d’abord, l’objectif de nous les élèves était clair, de choisir la chanson la plus ridicule. Le processus de traduction, aidé par notre professeur, était donc bien sûr très drôle. La tâche la plus complexe était la création d’une vidéo– j’apprécie d’ailleurs aujourd’hui beaucoup plus la complexité des vidéos de musique. Finalement, de voir la somme de nos efforts sur l’écran et par nos oreilles était un moment de fierté pour la classe. Nous en parlons encore aujourd’hui, et j’avoue que quand je me sens particulièrement nostalgique le soir, j’écoute la chanson. Emilio

 

Une  “évaluation”  pour savoir si les élèves ont compris ?

Je n’ai pas effectué d’évaluation en particulier. Le projet n’était associé à aucune note. Cependant, si j’avais dû le noter, je pense que j’aurais donné aux élèves des passages du texte à traduire de nouveau (du latin vers le français). Je ne les ai évalués que sur le vocabulaire appris, qui a été intégré à un contrôle de connaissances plus général. 

 

Y-a-t-il eu des difficultés, des surprises ?

Les difficultés ont été les suivantes : faire en sorte que tous les élèves restent concentrés dans un projet en apparence ludique (ils doivent comprendre qu’une vidéo, aussi amusante soit-elle, demande de la rigueur) ; être sûr que personne n’oublie son costume ou ses accessoires le jour du tournage.

Pour le montage vidéo, je recommande l’application WeVideo très simple d’utilisation et disponible gratuitement en ligne (sans téléchargement de programme). Si vous souhaitez publier la vidéo sur YouTube, une fois obtenu l’accord des parents, je vous conseille d’indiquer les crédits musicaux originaux (quae sunt Caesaris Caesari) en vous inspirant de ce qui a été fait pour une autre vidéo du même type. 

 

Pensez-vous mener cette activité à nouveau ? 

Je pense mener cette activité de nouveau cette année avec mes élèves de quatrième. Notre école a acquis un matériel vidéo de meilleure qualité (sous forme de drone), ce qui pourra améliorer le rendu général de la vidéo. À l’avenir, j’aimerais essayer de réaliser une vidéo sous forme de dessin animé, en impliquant les élèves dans la réalisation des images, sans doute avec l’aide d’une plateforme de graphisme en ligne qui soit facile d’utilisation. Cela permettrait aux élèves de développer une mémoire visuelle de la civilisation romaine. 

 

Voici liens vers plusieurs réalisations : 

Anna Togata a une vie d’élève ordinaire mais aussi une vie secrète de chanteuse dans le monde romain.

 

 Pris de remords, Énée décide de retourner à Carthage pour promettre à Didon une fidélité à laquelle elle n’ose pas croire. 

 

Aladdin emmène Jasmine dans un voyage aérien “sur les chevaux des vents” (cousins de Pégase ?).

 

 

Si vous souhaitez poser des questions à Victorien Coquery n’hésitez pas à le faire en commentaire de cet article, nous les lui ferons suivre.

Si vous souhaitez vous aussi raconter un de vos cours, n’hésitez pas à prendre contact avec nous.

A propos ju wo

Professeur de français et des options FCA et LCA dans l'académie de Lille. Passionnée de cultures antiques et de langues anciennes, attachée au rayonnement et à la promotion des cultures antiques dès l'école primaire. Responsable du concours ABECEDARIVM pour l’association ATC.

Laisser un commentaire

X