Venez vous perdre dans le labyrinthe !

Du Ier siècle avant J. -C. au VIIème s. ap. J.-C., voici plusieurs regards croisés sur le labyrinthe. L’occasion de comparer la  manière dont les auteurs s’emparent de ce lieu d’errance et d’erreur.

PDF à télécharger : carte mentale _ labyrinthe

Comment l’errance et l’erreur imprègnent le discours des poètes.

Chez Catulle, les « errabunda vestigia » (pas errants) du héros ne sont jamais à l’abri de l’« error » (erreur). La cause est de vouloir sortir des détours labyrinthiques, « labyrintheis e flexibus ».

On retrouve ce champ lexical de l’erreur chez Virgile. Il est intéressant d’observer les qualificatifs : de l’ « inobservabilis error », on passe chez Virgile à l’ « indeprensus et inremeabilis error » et à l’ « inextricabilis error ». L’error est synonyme de privation : in-observabilis, in-deprensus, in-remeabilis, in-extricabilis.

Chez Ovide, c’est le nombre des voies possibles qui nous égare : « ducit in errorem variarum ambage viarum », « in numerosas errore vias ». On entend un amusant doublement des sonorités de variarum à viarum qui semble mimer la confusion. On retrouve cette idée de multitude chez Apollodore (Bibliothèque, IIème s. ap. J.-C.) qui évoque un « οἴκημα καμπαῖς πολυπλόκοις », οἴκημα,  une « demeure » du Minotaure, littéralement « aux multiples plis », πολυ-πλόκος.

Chez un auteur grec encore, Plutarque associe labyrinthe et errance : πλανάομαι,ῶμαι (s’égarer).

τοὺς δὲ παῖδας εἰς Κρήτην κομιζομένους ὁ μὲν τραγικώτατος μῦθος ἀποφαίνει τὸν Μινώταυρον ἐν τῷ Λαβυρίνθῳ διαφθείρειν, ἢ πλανωμένους αὐτοὺς καὶ τυχεῖν ἐξόδου μὴ δυναμένους ἐκεῖ καταθνήσκειν.

« Pour rendre le fait plus tragique, la fable ajoute que ces enfants étaient ou dévorés par le Minotaure dans le labyrinthe, ou condamnés à errer jusqu’à leur mort dans ce lieu, d’où ils ne pouvaient sortir. » (Plutarque, Vies parallèles, IIème s. ap. J.-C.)

Un petit détour par l’étymologie est intéressant à souligner. Rapprochons « ambages » chez Virgile, « ambage », « ambiguo » chez Ovide et « ambages […] inexplicabiles » chez Pline (pour évoquer les détours au sens propre) : le sens figuré d’énigme est resté dans notre langue avec ambigu, ambiguïté.

La comparaison avec le fleuve Méandre que nous offre Ovide nous donne l’occasion de rappeler l’évolution de ce mot : des méandres,  sinuosités d’un cours d’eau, aux méandres, détours compliqués de la pensée ou d’un raisonnement au sens figuré.

Un univers fallacieux qui fait écho à error : chez Ovide, « tanta est fallacia tecti » (« tant est grande la tromperie de l’édifice ») ou chez Pline, « ad fallendos occursus » (« vers de fausses issues »), on trouve les dérivés de fallor. Chez Isidore de Séville la tromperie est matérialisée : « intus simulacra et monstrificae effigies » (« à l’intérieur se trouvent des statues et des représentations de monstres »).

L’absence de lumière est une autre caractéristique récurrente du labyrinthe : chez Virgile par exemple, la métonymie rend les vestigia, les « pas », caeca, « aveugles », plus haut ce sont les murs, parietes. Isidore de Séville développe le thème pour recréer l’ambiance angoissante du lieu avec des termes forts comme tenebrae : « per tenebras » et « ita ut de tenebris eius ad lucem venire inpossibile videatur ».

 

C’est aussi un lieu d’enfermement avec les dérivés de claudo : on lit « in quo est conclusus » chez Virgile, et « Destinat hunc Minos […] caecisque includere tectis » chez Ovide. Selon Apollodore, « Μίνως δὲ ἐν τῷ λαβυρίνθῳ […] κατακλείσας αὐτὸν ἐφύλαττεν » (« Minos le garda enfermé dans le Labyrinthe ») : κατά, (« vers le bas ») et Κλεί (apparenté au latin claudo : « clore »).

Le fil-roi : chez Catulle, « errabunda regens tenui vestigia filo » (« dirigeant ses pas errants à l’aide d’un fil léger »), chez Virgile « caeca regens filo vestigia » (« guidant par un fil des pas aveugles »). On remarque une évolution chez Isidore de Séville, on passe du filus au linum : « in quo si quis introierit sine glomere lini, exitum invenire non valet » (« si l’on y entre sans une pelote de fil, il est impossible de trouver la sortie »).

Un univers courbe ou rectiligne ? Plusieurs représentations montrent des schémas différents.

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mazes_and_labyrinths;_a_general_account_of_their_history_and_developments_%281922%29_%2814597891780%29.jpg

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Theseus_Minotaur_Mosaic.jpg

Les textes, avec les flexus chez Catulle, l’évocation du fleuve Méandre chez Ovide, et « καμπαῖς » chez Apollodore, laissent à penser qu’il s’agit d’un dédale fait de courbes.

C’est une erreur qu’il faut commettre, une errance qu’il faut accepter. En effet, il est toujours question d’avancer dans ces méandres : egredior, ambulatio, et les jeux de mots sur occursus et recursus, millia passuum, transitus…

Retour vers le présent :

Un détour amoureux avec Racine dans Phèdre, acte II, scène V :

Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée.

Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,                 635

Volage adorateur de mille objets[1] divers,

Qui va du Dieu des morts déshonorer la couche[2],

Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,

Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,

Tel qu’on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous voi[3].     640

Il avait votre port, vos yeux, votre langage,

Cette noble pudeur colorait son visage,

Lorsque de notre Crète il traversa les flots,

Digne sujet des vœux des filles de Minos.

Que faisiez-vous alors ? Pourquoi sans Hippolyte              645

Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?

Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors

Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?

Par vous aurait péri le monstre de la Crète,

Malgré tous les détours de sa vaste retraite.                650

Pour en développer l’embarras incertain,

Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.

Mais non, dans ce dessein je l’aurais devancée ;

L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.

C’est moi, Prince, c’est moi dont l’utile secours                655

Vous eût du Labyrinthe enseigné les détours.

Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante !

Un fil n’eût point assez rassuré votre amante.

Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,

Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ;               660

Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue

Se serait avec vous retrouvée, ou perdue.

Le sol de la cathédrale de Chartres au centre de la nef représente un labyrinthe. https://fr.wikipedia.org/wiki/Cath%C3%A9drale_Notre-Dame_de_Chartres#/media/Fichier:Labyrinth_at_Chartres_Cathedral.JPG

Ce même schéma compose le logo des monuments historiques.

https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Centre-Val-de-Loire/Nos-secteurs-d-activite/Monuments-historiques-en-Centre-Val-de-Loire/Histoire-du-logo-monument-historique

Le film Shining par Stanley Kubrick en 1980 montre une représentation contemporaine du dédale :

https://dai.ly/x3bnaz

Le motif du labyrinthe s’est emparé du land art, de la cuisine…

Encore beaucoup de fils à tirer ! Notamment pour travailler l’étymologie de certains mots…

Julie Wojciechowski

Source Image : Wikimedia Commons https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Theseus_Minotaur_Mosaic.jpg

A propos ju wo

Professeur de français et des options FCA et LCA dans l'académie de Lille. Passionnée de cultures antiques et de langues anciennes, attachée au rayonnement et à la promotion des cultures antiques dès l'école primaire. Responsable du concours ABECEDARIVM pour l’association ATC.

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