Art et ton char #4 Storax a des esclaves à vendre !

L’oeuvre 

Gustave Boulanger, Le Marché aux esclaves, 1882

Le Marché aux esclaves, Gustave Boulanger, huile sur toile, 77 cm x 99 cm, 1882, Collection privée

Gustave Boulanger, peintre académique et orientaliste du XIXe,  choisit le thème du marché aux esclaves croisant à la fois la fascination pour les contrées lointaines, la période antique et la représentation de la nudité. Ce type d’iconographie est aussi très présente chez les autres peintres de son mouvement,

Ce tableau, dont le cadrage est relativement serré, représente une estrade adossée à un mur d’un bâtiment qu’on imagine monumental puisqu’on devine en haut à gauche la base d’une colonne. Sur l’estrade, sont exposés sept esclaves d’origine, d’âges et de sexes variés. Chacun porte un écriteau autour du cou indiquant, sans doute, à la craie son origine, son âge, ses qualités, son prix, etc. Le tableau est bien séparé par un axe diagonal et nous remarquons un sens de lecture de gauche à droite avec une dégradation progressive des éléments.

Les esclaves, dans la partie gauche, sont dans des positions droites pour deux protagonistes et le troisième attend patiemment. Ce côté fort et sûr est renforcé par la présence d’une colonne visible dans le coin supérieur gauche. Ce calme apparent malgré le côté dramatique de la situation est mis en opposition avec le côté droite de l’image plus sombre dans laquelle les protagonistes sont dans des positions qui expriment torture et abattement. 

« Storax servorum mango » : l’observateur est au spectacle

Au premier plan, au centre de la toile, le marchand Storax mange goulûment des olives, assis sur son estrade, les jambes pendantes, le fouet posé à sa gauche, semblant attendre l’acheteur. Le nom de Storax est connu grâce à l’inscription qui figure en arrière plan sur le mur : « Storax servorum mango » – Storax marchand d’esclaves.

Ce personnage central renforce le caractère théâtral de la scène. Il n’est pas sans rappeler le Mercator de Plaute ou encore le personnage stéréotypé du Leno (proxénète, marchand d’esclaves), également présent chez Plaute. le spectateur se place  dans ce marché antique comme au spectacle avec une distribution de l’espace et des rôles. le mango offre à l’observateur le spectacle des corps offerts.

Complaisance, répulsion, indifférence ?

Il est bien difficile de connaître l’intention de ce peintre institutionnel d’origine créole. Quel sens donner notamment à la représentation d’esclaves blancs, noirs,  est-ce un souci de réalité historique ?

Les corps des femmes blanches sont présentés de façon très sensuelle et voluptueuse, cela serait plus de l’ordre du fantasme orientaliste et complaisant que de la dénonciation, malgré la figure ridicule de l’esclavagiste. Dans d’autres oeuvres Boulanger s’est d’ailleurs plu à mettre en scène le contraste de la couleur des corps, ainsi qu’à souligner la nudité et la sensualité féminine.

 

 

 

Gustave Boulanger, Esclaves à vendre

 

Le Marché aux esclaves et Les Lauriers de César !

Dans Les Lauriers de César, une des planches semble faire allusion à ce tableau, lors de l’arrivée d’Astérix et Obélix au marché, cependant un autre point de vue est utilisé grâce à la profondeur de champ et à la légère plongée.

Les Lauriers de César René Goscinny et Albert Uderzo

Des représentations voisines se retrouvent dans d’autres oeuvres dessinées comme Alix.

Une proposition de textes antiques en lien avec l’oeuvre

Deux extraits :

  • Sénèque conseille une forme de défiance vis à vis des marchands d’esclaves.

Num moleste feram, si mihi non reddiderit nomen aliquis ex his qui ad Castorisnegotiantur nequam mancipia ementes uendentesque, quorum tabernae pessimorumseruorum turba refertae sunt?

Irai-je m’indigner si quelque brocanteur du temple de Castor ne me salue pas par mon nom, lui, l’un de ces hommes qui vendent et achètent de méchants esclaves, et dont les boutiques sont pleines de valets de la pire espèce ?

Sénèque, De constantia sapientis, 13,4

  • Horace dans une lettre à Florus évoque l’achat d’un candidus servus :

AD JULIUM FLORUM.

Flore, bono claroque fidelis amice Neroni,

Si quis forte velit puerum tibi vendere, natum

Tibure vel Gabiis et tecum sic agat :

« Hic et Candidus, et talos a vertice pulcher ad imos,

Fiet eritque tuus nummorum milibus octo,

Verna ministeriis ad nutus aptus heriles,

Litterulis Græcis imbutus, idoneus arti

Cuilibet ; argilla quidvis imitaberis uda ;

Quin etiam canet indoctum, sed dulce bibenti.

Multa fidem promissa levant, ubi plenius æquo

Laudat venales qui vult extrudere, merces.

Res urget me nulla, meo sum pauper in ære.

Nemo hoc mangonum faceret tibi. Non temere a me

Quivis ferret idem. Semel hic cessavit, et, ut fit,

In scalis latuit metuens pendentis habenæ. »

Des nummos, excepta nihil te si fuga lædat ;

Ille ferat pretium, pœnæ securus, opinor.

Prudens emisti vitiosum, dicta tibi est lex ;

Insequeris tamen hunc et lite moraris iniqua.

Épitre II. — À JULIUS FLORUS.

Florus, fidèle ami du bon et illustre Néro, quelqu’un veut te vendre un esclave né à Tibur ou à Gabiæ et il te parle ainsi : « Cet esclave est blanc et beau de la tête aux talons. Il est à toi pour huit mille écus. Il est attentif et fait au service du maître, quelque peu instruit dans les lettres Græcques et propre à quelque art que ce soit. Tu pourras le modeler comme une argile humide. De plus, bien qu’il chante sans art, il plaît pendant qu’on boit. Trop de promesses excitent la défiance ; celui qui loue sa marchandise plus que de raison veut en être débarrassé. Rien ne me presse ; je suis pauvre, mais mon argent est à moi. Personne ne te proposerait ce marché, et je n’offrirais le pareil à personne. Cet esclave a failli une seule fois, et, comme cela arrive, s’est caché sous l’escalier, ayant peur de la courroie qui y pend. »Donne tes écus, si cette fuite avouée ne t’effraye pas. Je pense que le marchand peut emporter sûrement la somme. Averti, tu as acheté un esclave vicieux ; et la loi est contre toi. Tu le poursuis cependant et lui intentes un procès injuste.

Horace – Œuvres, trad. Leconte de Lisle, II

Pour aller plus loin…

  • Un riche article sur la plateforme Odysseum au sujet de l’esclavage sous l’empire: lien vers cet article
  •  Une très belle séquence pédagogique, conçue par Thomas Frétard,  destinée aux collégiens de quatrième, mais où chacun pourra retrouver des références bibliographiques et artistiques très intéressantes : lien vers la séquence sur le site ATC

Bien d’autres ressources sur le même thème sont à retrouver sur le site Arrête ton char.

Article rédigé en collaboration avec Julie Wojciechowski.

A propos Victorine Ledet

Je suis professeur de lettres classiques en collège dans l'académie de Toulouse, j'ai également une formation en histoire de l'art.

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