ART ET TON CHAR #5 : Xu Zhen – reproduction et création multiple


L’oeuvre

C’est en 2016, à l’occasion de l’exposition Bentu – Des artistes chinois dans la turbulence des mutations (Fondation Louis-Vuitton), que j’ai découvert les oeuvres de l’artiste chinois Xu Zhen. Face à celles-là, j’ai ressenti un mélange de familiarité, de fascination et de confusion interprétative. L’artiste cherchait-il à impressionner le spectateur ou à gentiment se moquer de lui voire à le provoquer ?

Eternity – The Soldier of Marathon Announcing Victory,  A Wounded Galatian, XU ZHEN®, 2014

lien vers xuzhenart.com

Les oeuvres sources font partie des collections du Louvre :

Musée du Louvre, Département des Antiquités grecques, étrusques et romaines, Ma 324 –

Sur chaque cube de marbre l’artiste chinois a fait figurer une reproduction du Gaulois blessé  (IIe s. ap. J.-C.) surmonté d’une copie du Soldat de Marathon annonçant la victoire (JP Cortot, 1834) qui semble presque en lévitation. 

Cortot, Jean PierreFrance, Musée du Louvre,  LP 243

L’œuvre de Xu Zhen associe donc deux oeuvres qui appartiennent à l’imaginaire patrimonial antique, mais n’ont pas du tout été produites à la même époque ; en outre, l’une est romaine, tandis que l’autre se rapporte à un épisode de l’histoire grecque. Cet “attelage” étrange fruit d’une double copie se présente en cinq exemplaires parfaitement identiques et alignés.

Cette oeuvre appartient à la série Eternity qui propose une forme de tête à tête, un dialogue entre Occident et Asie. Xu Zhen ne se contente pas de confronter, de mettre en présence les deux héritages artistiques, il propose un parcours plus complexe et distancié. La reproduction signifie certes l’héritage artistique mondialisé, mais il me semble qu’elle n’est pas dénuée d’une forme de dérision. En effet, l’artiste Xu Zhen se présente aussi sous le nom de “MadeIn Company” : une allusion directe et ironique au Made in China et à une forme de reproduction commerciale frénétique.

D’autres oeuvres de la série Eternity (en suivant ce lien)

XU ZHEN® Eternity-Aphrodite of Knidos, Tang Dynasty Sitting Buddha, 2021

XU ZHEN ®“Hello”, 2018 – 2019 Robotic mechanisms, styrofoam, polyurethane foam, silicone paint, sensors, electronic controls

Une proposition de texte antique en lien avec l’oeuvre

Vitruve dans son traité d’architecture explique le jeu des proportions : l’ἀναλογία grecque

I. Unde symmetriae fuerint ad aedes sacras translatae

1. Aedium compositio constat ex symmetria cuius rationem diligentissime architecti tenere debent. Ea autem paritur a proportione, quae graece ἀναλογία dicitur. Proportio est ratae partis membrorum in omni opere totiusque commodulatio, ex qua ratio efficitur symmetriarum. Namque non potest aedis ulla sine symmetria atque proportione rationem habere compositionis, nisi uti ad hominis bene figurati membrorum habuerit exactam rationem.

2. Corpus enim hominis ita natura composuit, uti os capitis a mento ad frontem summam  et radices imas capilli esset decimae partis; item manus palma ab articulo ad extremum medium digitum tantundem; caput a mento ad summum verticem octavae; tantumdem ab imis radices capillorum sextae, ad summum verticem quartae. Ipsius autem oris altitudinis tertia est pars ab imo mento ad imas nares; nasus ab imis naribus ad finem medio superciliorum tantundem; ab ea fine ad imas radices capilli, ubi frons efficitur, item tertiae partis. Pes vero altitudinis corporis sextae; cubitus quartae; pectus item quartae . Reliqua quoque membra suas habent commensus proportiones, quibus etiam antiqui pictores et statuarii nobiles usi magnas et infinitas laudes sunt assecuti.

3. Similiter vero sacrarum aedium membra ad universam totius magnitudinis summam ex partibus singulis convenientissimum debent habere commensus responsum. Item corporis centrum medium naturaliter est umbilicus. INamque si homo collocatus fuerit supinus, manibus et pedibus pansis, circinique collocatum centrum in umbilico eius, circumagendo rotundationem utrarumque manuum et pedum digiti linea tangentur. Non minus quemadmodum schema rotundationis in corpore efficitur, item quadrata designatio in eo invenietur : nam si a pedibus imis ad summum caput mensum erit, eaque mensura relata fuerit ad manus pansas, invenietur eadem latitudo uti altitudo, quemadmodum areae, quae ad normam sunt quadratae.

1. D’après quel modèle on a établi les proportions des temples.

1. L’ordonnance d’un édifice consiste dans la proportion, chose à laquelle l’architecte doit apporter le plus grand soin. Or, la proportion naît du rapport de grandeur que les Grecs appellent ἀναλογία. Ce rapport est la convenance de mesure qui existe entre une certaine partie des membres d’un ouvrage et le tout; c’est d’après cette partie qu’on règle les proportions. Car il n’est point d’édifice qui, sans proportion ni rapport, puisse être bien ordonné; il doit avoir la plus grande analogie avec un corps humain bien formé.

Or, voici les proportions que lui a données la nature : le visage, depuis le menton jusqu’au haut du front, à la racine des cheveux, est la dixième partie de la hauteur de l’homme ; la paume de la main, depuis l’articulation du poignet jusqu’au bout du doigt du milieu, a la même longueur ; la tête, depuis le menton jusqu’au sommet, forme la huitième partie; même mesure par derrière; depuis le haut de la poitrine jusqu’à la racine des cheveux, il y a une sixième partie, et jusqu’au sommet de la tête une quatrième. La longueur du visage se divise en trois parties la première s’étend depuis le bas du menton jusqu’au-dessous du nez ; la seconde, depuis le dessous du nez jusqu’au haut des sourcils, et la troisième, depuis cette ligne jusqu’à la racine des cheveux, qui termine le front. Le pied a la sixième partie de la hauteur du corps ; le coude, la quatrième, de même que la poitrine. Les autres membres ont aussi leurs mesures et leurs proportions; c’est en les observant que les plus célèbres peintres et sculpteurs de l’antiquité ont acquis une réputation si grande et si durable.

3. Il en est de même des parties d’un édifice sacré : toutes doivent avoir dans leur étendue particulière des proportions qui soient en harmonie avec la grandeur générale du temple. Le centre du corps est naturellement au nombril. Qu’un homme, en effet, soit couché sur le dos, les mains et les pieds étendus, si l’une des branches d’un compas est appuyée sur le nombril, l’autre, en décrivant une ligne circulaire, touchera les doigts des pieds et des mains. Et de même qu’un cercle peut être figuré avec le corps ainsi étendu, de même on peut y trouver un carré : car si on prend la mesure qui se trouve entre l’extrémité des pieds et le sommet de la tête, et qu’on la rapporte à celle des bras ouverts, on verra que la largeur répond à la hauteur, comme dans un carré fait à l’équerre.

Vitruve, De l’architecture, Livre III.
Tome premier / trad. nouvelle par M. Ch.-L. Maufras,
C. L. F. Panckoucke, 1847.

Pour aller plus loin …

  • Un ouvrage philosophique de Walter Benjamin qui permet d’approfondir la réflexion au sujet de l’art contemporain, de la reproduction et de la reproductibilité.

” L’œuvre d’art a toujours été fondamentalement reproductible. Ce que des hommes avaient fait pouvait toujours être reproduit par d’autres. Le système d’apprentissage composé des maîtres et des élèves se fonde sur une telle dynamique, à fin de diffusion des oeuvres ; enfin des tiers mus par l’appât du gain, pratiquaient une telle reproduction. Ce qui est inédit, toutefois, est la reproduction technique de l’œuvre. Cette reproduction technique a émergé petit à petit, s’imposant par intermittence dans l’histoire : les Grecs ne connaissaient que deux procédés de reproduction des oeuvres d’art : la fonte et la gravure…”

L’Oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, chap. I, 1939.

  • Sur le site Antiquipop, vous trouverez l’article : Symbioses entre Orient et Antiquité : Xu Zhen – Eternity de Pascal Bernard

https://antiquipop.hypotheses.org/1488

 

A propos Victorine Ledet

Je suis professeur de lettres classiques en collège dans l'académie de Toulouse, j'ai également une formation en histoire de l'art.

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