Etrusques et Romains : le leg étrusque

ETRUSQUES
et ROMAINS

(Ce
que Rome doit aux Etrusques

)

Jean-Claude Daumas, Historien – pour Latine Loquere

Question délicate que celle des
influences pour laquelle les divergences ne sont pas minces entre les
spécialistes des Etrusques et ceux des Romains. C´est pourquoi
l´avis d´un Dominique Briquel, à  la fois étruscologue et
historien des premiers siècles de Rome, est précieux.

ROME VILLE ETRUSQUE ?

Formule choc qui a
(eu surtout) ses détracteurs mais aussi ses partisans et qu´il
faut évidemment nuancer par une relecture de Tite-Live en le
confrontant à  l´archéologie.

LA FONDATION DE ROME (753)

Le récit canonique de Tite-Live
rappelle parfaitement les rites étrusques de fondation d´une
ville.

1) Consultation de la volonté des dieux
par l´observation du vol des oiseaux : Rémus, sur l´Aventin,
voit 6 vautours ; son frère Romulus, sur le Palatin, en voit 12
mais plus tard. Qui a gagné ? Celui qui en a vus le plus ou
celui qui les a vus en premier ?

2) Romulus se proclame vainqueur et
trace à  la charrue le « sillon fondateur » délimitant
l´espace sacré de la future ville. Rémus, furieux, saute par
dessus le sillon, provoquant ainsi la colère de son frère qui le
tue ….

Finalement peu importe que la date de
753 ne soit pas la meilleure, que Romulus et Rémus n´aient pas
existé, que ce rite de fondation ne soit pas attesté en Etrurie
avant le VIème siècle ; l´important c´est que Tite-Live,
rédigeant l´histoire de Rome 7 siècles plus tard, reprenne « mot
à  mot » un rite étrusque, montrant ainsi un leg mémoriel de
première importance.

DES ROIS ETRUSQUES A ROME (616-509)

Toujours selon Tite-Live, trois rois
étrusques se sont succédés et ont fait de Rome une véritable
ville :

Tarquin l´Ancien (616 – 578) “
ouverture du Forum après son drainage par l´égout du Cloaca
Maxima
.

Servius Tullius (578 – 534) “
construction d´une enceinte plus vaste et réforme militaire.

Tarquin le Superbe (534 – 509) “ construction du temple
de Jupiter capitolin et de gradins au Circus Maximus.

En réalité ce sont des Etrusques de Tarquinia, de Vulci et de
Chiusi qui se sont disputés la souveraineté sur Rome, les deux
premiers étant d´ailleurs au départ des chefs de guerre, en
particulier le futur Servius Tullius – le Vulcien Macstarna – aidé
par les frères Vibenna pour tuer un Tarquin prénommé Gnaeus ….
Trois rois en plus de cent ans (et 7 seulement entre 753 et 509) est
difficilement admissible : Tarquin le Superbe aurait regné
entre 78 et 96 ans !

Rome n´a jamais été une colonie étrusque (le latin est
constamment utilisé dans les inscriptions officielles) mais elle a
subi l´influence de ces derniers qui, au VIème siècle “ celui
des « rois étrusques », a accéléré une dynamique
propre et déjà  enclanchée. Rome devient alors une vraie ville :
Forum (centre de la vie politique) et Forum boarium (centre
économique) grâce au drainage de marécages ; temple, colossal
pour l´époque, de Jupiter sur le capitole ; Circus Maximus “
premier édifice de spectacles ; rempart englobant un vaste
espace et réforme hoplitique (Servius Tullius ex-chef de guerre
était bien placé pour cela) qui permettra bientôt à  l´armée
romaine d´être à  égalité tactique avec les Etrusques et
d´autres peuples italiques.

C´est donc à  l´époque de la plus grande influence étrusque
que Rome a réalisé un véritable « bond en avant » dans
tous les domaines, d´abord sans doute par les qualités propres de
ses habitants.

LES EVENEMENTS DE 509

Les Romains chassent Tarquin le
Superbe, un véritable tyran ; ce dernier fait appel à
Porsenna, roi de Chiusi, qui met le siège devant Rome mais finit par
le lever suite aux exploits de trois héros romains qui l´ont
beaucoup impressionné :

Horatius Cocles défend seul “
tel le Roland de la légende – le pont Sublicius sur le Tibre.

Mucius Scaevola, arrêté dans
le camp étrusque sans avoir pu poignarder Porsenna, fait brûler sa
main sur un brasero sans émettre la moindre plainte, ajoutant que
300 jeunes romains sont prêts à  le remplacer.

– Clélie, otage des Etrusques,
réussit à  s´enfuir en s´emparant d´un cheval avant de
traverser le Tibre.

Tite-Live nous
conte là  de belles histoires édifiantes comme le veut son histoire
nationaliste romaine, rédigée à  l´époque d´Auguste et
destinée à  fournir des modèles de citoyens vertueux pour
l´éducation de la jeunesse.

En réalité, Porsenna a bel et bien
pris Rome “ Tacite un siècle plus tard l´admettait volontiers “
mais le scénario de la crise de fin VIème n´est pas celui décrit
plus haut. C´est Porsenna qui a chassé Tarquin le Superbe ( =
Chiusi contre Tarquinia) et a permis aux Romains d´établir une
« République ». Porsenna tente ensuite de s´emparer du
Latium ; n´y parvenant pas il s´en retourne à  Chiusi,
laissant Rome s´administrer librement. L´influence étrusque
perdure cependant : en 506, 498 et 490 les consuls de Rome ont
un nom étrusque ; pour une indépendance définitive il faudra
attendre sans doute 474 et la trève de 40 ans signée entre Rome et
Véies. Véies, cité étrusque la plus proche de Rome, avait en 477
exterminé la gens romaine des Fabia qui l´avait
attaquée.

LE LEG POLITIQUE

C´est avant tout les emblèmes du
pouvoir que les Romains ont emprunté aux Etrusques :

Couronne d´or et sceptre
d´ivoiresurmonté d´un aigle = insignes des princes étrusques.

Sella curulis :
tabouret pliant à  bras incurvés (au départ : siège de char).

Manteau pourpre des rois et des
triomphateurs ; toge laticlave (à  large bande pourpre)
des sénateurs : toge prétexte (à  étroite bande
pourpre) des magistrats.

Chaussures montantes des
sénateurs et anneau des chevaliers.

Faisceaux des licteurs (invention
de Vétulonia) = hache bipenne entourée de verges, symboles du
pouvoir de vie et de mort (verges pour châtier, hache pour exécuter)
des 12 licteurs, officiers précédant un magistrat lorsqu´il se
déplace.

Triomphe : cérémonial pour
le chef militaire victorieux = un quadrige (char tiré par quatre
chevaux) conduit le triomphateur en manteau de pourpre au Capitole
pour remercier Jupiter.

Pour la succession royauté-république,
bien connue à  Rome et très probable dans les cités étrusques, on
ne peut que constater leur contemporénéité.

LE LEG MILITAIRE

Les Romains
auraient appris des Carthaginois l´art de la guerre navale, des
Grecs celui de la guerre de siège, et des Samnites l´ordre
tactique souple, le javelot et le bouclier long (scutum).

Les Etrusques “ par l´intermédiaire
de Servus Tullius l´ex-chef de mercenaires – ont
enseigné aux Romains la tactique hoplitique qu´ils avaient
eux-mêmes appris des Grecs. Les fantassins combattent en rangs
serrés pour que le bouclier solidement tenu par le bras gauche (une
lanière au niveau du coude, une deuxième au niveau du poignet)
protège le voisin de gauche, chaque hoplite étant donc protégé
par le bouclier de son voisin de droite. Servius Tullius serait aussi
à  l´origine de la légion romaine répartie sur 3 lignes :
hastati, principes, triarii.

Enfin, la musique militaire provient
des Etrusques : cors, trompettes droites (tuba) et
trompettes évasées-recourbées (lituus).

LE LEG TECHNIQUE

Il correspond
essentiellement à  l´art de bâtir, une fois le terrain assaini par
drainage et arpenté (la centuriation romaine de Florence reprends
d´ailleurs celle des Etrusques) : les Etrusques étant des maîtres
en ces domaines.

Le système arc et voûte qui fera la
fortune de l´architecture romaine comme le montre la quantité et
la qualité « indestructible » des monuments romains
vient-il des Etrusques ? Même si les voûtes étrusques bien
attestées sont à  encorbellement et les vrais arcs très tardifs, il
est tout de même plus logique que les architectes romains se soient
inspirés des Etrusques plutôt que des Grecs qui n´ont
pratiquement pas utilisé ce modèle.

Le rite de fondation des villes et leur
plan orthogonal (encore plus respecté dans les camps militaires
romains) est bien d´origine étrusque. Il en est de même pour le
plan de la maison atrium typiquementn étrusque.

Quant au temple romain, il suit le
modèle étrusque qu´on ne peut confondre avec les modèles grecs :
haut podium à  escalier ; colonnes toscanes lisses ; 3
cellae et colonnades uniquement à  l´avant du temple.

LE LEG CULTUEL

Dans le domaine religieux,
l´assimilation entre divinités étrusques-grecques-romaines est
une constante du monde méditerranéen occidental et ne permet guère
de donner un sens de fonctionnement. Par contre les « fastes »
romains (calendrier des fêtes religieuses se déroulant tout au long
de l´année) sont bien d´origine étrusque.

La triade étrusque
Tinia-Uni-Menerva est sans doute à  l´origine de la triade
capitoline romaine classique – Jupiter-Junon-Minerve – qui
a remplacé une triade primitive : Jupiter-Mars-Quirinus. Voilà
pourquoi les temples sont à  triple cella.

Le grand apport
étrusque est celui de la divination, car les Augures romains ne
savaient que constater l´aspect positif ou négatif d´un fait ;
et pas ce qu´il fallait faire précisément pour apaiser la
divinité irritée ni quelle était cette divinité. D´où l´appel
à  la « science » des haruspices étrusques qui seront
consultés pendant des siècles après la conquête de l´Etrurie
par Rome.

LE LEG CULTUREL

Un premier fait
incontestable et de grande portée : l´alphabet latin (le
nôtre …) est dérivé de l´étrusque et non du grec. Le théâtre
romain aurait une origine étrusque : le premier théâtre
(bâtiment) fut élevé à  Rome en 396 et les danses et mimes
étrusques ont inspiré les premières pièces de théâtre romaines.

Dans le domaine artistique, le réalisme
des portraits peints et sculptés étrusques des derniers siècles
est en étroite relation avec ceux que les Romains réaliseront plus
tard.

Mais c´est dans le domaine des
spectacles « athlétiques » que l´influence étrusque a
été la plus forte, en particulier pour le statut des acteurs :
des professionnels socialement inférieurs, même si certains
accèdent au vedettariat. Les combats de gladiateurs, issus des
rites funéraires apparaissent à  Rome en 264 ; leur origine
précise est parfois discutée par ceux qui avancent la Campanie
lucanienne comme point de départ.

Pas de discussion par contre pour
l´origine des courses de chars au Circus Maximus  : là ,
tout est d´influence étrusque.

En guise de conclusion

Si les Romains
n´ont pris “ logiquement – chez leurs voisins Etrusques que ce
qui leur plaisait, il faut bien reconnaître que beaucoup d´éléments
de la civilisation étrusque les ont séduit ….Ce qui est corroboré
par les fait que, sous l´Empire encore, des Romains importants
étaient fiers de descendre des Etrusques ou montraient de l´intérêt
pour leur civilisation :

VIRGILE (71 – 19)
descendait des Etrusques de Mantoue : son surnom Maro
rappelle Maru, titre de magistrature étrusque. Dans son
Enéide, il place les Etrusques au premier rang des alliés
d´Enée, l´ancêtre mythique des Romains.

MECENE (69 – 8)
fait établir la généalogie de sa famille issue des Cilnii qui
furent les maîtres d´Arezzo.

CLAUDE (Empereur
entre 41 et 54) a eu une première épouse étrusque “ Urgulanilla
“ dont la grand-mère Urgulania l´aurait impressionné. On sait
aussi qu´il a tenu à  restaurer le collège des Soixante
Haruspices, preuve de son intérêt pour la divination étrusque.

Et TITE-LIVE (vers
60 avant “ 17 après J.-C.) n´a-t-il pas finalement glorifié les
Etrusques ?





A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

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