Antiqliché #3 – les Gaulois étaient-ils hirsutes et moustachus ?

LA MOUSTACHE GAULOISE, UN PLÉONASME

Le 30 juin 2013 avait lieu au parc d’Astérix la journée de la moustache gauloise. A cette occasion le record du monde de porteurs de fausse moustache réunis dans un même lieu a été battu (avec la participation de 1.654 visiteurs).

Le parc d’attraction, par sa campagne publicitaire actuelle comme par cet évènement, rappelle ainsi le lien puissant qui unit les Gaulois et leurs moustaches dans l’imaginaire contemporain.
C’est ce lien que nous allons interroger ici, une enquête triviale mais qui bien vite s’avèrera étrangement complexe et souvent contradictoire.

La moustache gauloise dans l’imagerie contemporaine
  • Dans la publicité
  • Dans la BD
  • Dans la chanson
pub parc asterix gauloises

En ce printemps 2014, l’agence Extreme a placé la moustache au cœur de sa campagne publicitaire pour le parc Astérix. Sur cette affiche notamment, une mère et sa fille, qui n’ont certes pas la peau “flasque et blanche” dont parle Diodore de Sicile au sujet des Gaulois (“ταῖς δὲ σαρξὶ κάθυργοι καὶ λευκοί”, Bibliothèque historique, Livre V, chap. 28), arborent joyeusement la moustache, avec le sous-titre “Sonia et Emma, irréductibles Gauloises”.

La campagne a suscité des réactions dans des milieux très divers de la blogosphère puisque certains membres d’extrême droite s’en sont offusqué tandis que Julien Massillon, du site Yagg (media des lesbiennes, gays, bis et trans) s’est amusé ironiquement à y voir une invasion du gender dans la publicité.

la-biere-maxevilleMais cette présence gauloise dans la publicité n’est pas neuve.

Vous trouverez une mine de moustaches gauloises promotionnelles anciennes dans cet article du webzine Le Grand Cercle Celtique.

 

 

 

Les aventures d’Astérix montrent tout un éventail de moustaches qui varient d’un personnage à l’autre mais sont le dénominateur commun de tous les Celtes représentés. Le site Astérix et Obélix (Officiel) en dresse la liste illustrée et rappelle les deux épisodes lors desquels des romains essaient de se faire passer pour des Gaulois :

– Caligula Minus, démasqué lors de la fameuse “danse des moustaches”

Tirez-vous les moustaches et changez de place ! adaptation du “Tirez-vous les moustaches !” (Astérix le Gaulois, 1961, p.19)

– Caïus Jolibus, qui, ivre, fait tomber sa fausse moustache dans sa cervoise (Le bouclier arverne, 1968, p. 26).

La chanson illustre également cette association traditionnelle et populaire entre Gaulois, moustaches et sourire, voire rire moqueur. Trois belles illustrations joyeuses et musicales des Gaulois moustachus.
En 1950, parmi tous les titres évocateurs de la France sur son album “Ooh la la !”, Sidney Bechet joue “Moustache gauloise” dans les clubs de Saint-Germain-des-Près avec l’orchestre de Claude Luter, et notamment le batteur, chanteur et comédien François-Alexandre Galepides dit Moustache.
En 1960, Henri Salvador chante “Faut rigoler”, une chanson qui le consacrera (avec quelques autres chantées dans les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier) comme chanteur populaire.

Nos ancêtres les Gaulois
Cheveux blonds et têt’s de bois
Longu’s moustaches et gros dadas
Ne connaissaient que ce refrain là

En 1975, Ricet Barrier célèbre encore la pilosité des Gaulois…

Poilus, barbus, vêtus de peaux de bêtes
Ils bravaient la tempête
Tue-le, tue-la
C´était la loi des Gaulois!

Chez les trois musiciens, les moustaches permettent de rire des clichés qui vont avec l’idée d’identité nationale.

La dimension comique, toujours un peu décalée de la moustache en fait son succès.

On le voit, la moustache, c’est l’essence du Gaulois, elle FAIT le Gaulois.

D’ailleurs, dans le petit Robert, la moustache à la gauloise est en bonne place dans la définition de l’adjectif “Gaulois,oise”

gaulois petit robert

Vercingetorix, poilu parmi les poilus

Parmi les Gaulois, le plus célèbre est sans doute encore aujourd’hui Vercingétorix.
Et, jusque dans des représentations récentes au cinéma ou à la télévision, il est, comme dans la chanson de Ricet Barrier “poilu, barbu, vêtu de peaux de bêtes”.

  • Vercingetorix au cinéma
  • Vercingetorix au à la télévision
Le Vercingétorix de Dorfmann en 2000, illustre de manière magistrale cette image du guerrier hirsute, aux mèches rebelles comme lui.

Une image issue du site du Nouvel Observateur
Une image issue du site du Nouvel Observateur

Pour une analyse détaillée de ce film qui a également donné lieu à une tout aussi mémorable bande-dessinée, je renvoie aux analyses de Robert Delord sur ce site ou à l’article du site Peplum au titre fort opportunément choisi “Versins, j’ai trop ri…“.

La série Rome, diffusée entre le et le sur HBO, représente également un Vercingétorix hirsute et menaçant lors de sa reddition. Même la peau de bête y est.

Et pourtant…

VERCINGÉTORIX GLABRE

Je cite la page wikipedia consacrée à Vercingétorix :

Les seuls objets connus qui pourraient représenter Vercingétorix de son vivant sont les monnaies. Depuis les travaux de Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu qui révolutionnèrent la numismatique gauloise dans les années cinquante et soixante23, on a recensé 25 statères d’or au nom de Vercingétorix et deux de bronze24. Ces monnaies sont intéressantes car elles arborent un portrait souligné du nom Vercingetorixs.Wikipedia - page Vercingetorix
Vercingetorix statère MAN
Statère d’or de -52, issu du trésor de Pionsat, Puy-de-Dôme, au nom de Vercingétorix, mais figurant probablement le dieu Apollon – musée d’archéologie nationale. (Image sous CC – Source Wikipedia)

Cette statère d’or de -52, issu du trésor de Pionsat, Puy-de-Dôme, au nom de Vercingétorix, présente un profil tout à fait glabre.

Mais alors, Vercingétorix n’avait pas de moustache ??

En réalité, ce n’est pas si simple…
Je cite la suite de l’article “Vercingétorix” de Wikipedia :

Faut-il pour autant en conclure que le profil -sans particularité- figurant sur ces statères représente Vercingétorix ? Les spécialistes répondent par la négative et penchent plutôt pour une représentation de type hellénistique25, d’une divinité qui pourrait être Apollon26. Brigitte Fischer, suivant en cela Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu, ne voit sur ces monnaies que des représentations d’Apollon imitant en cela le statère de Philippe II de Macédoine[1]Wikipedia - page Vercingetorix

Poursuivons donc l’enquête. Les Romains eux aussi représentent les Gaulois sur leurs monnaies, notamment sur celle-ci, qui est parfois interprétée comme une image de Vercingétorix lors de sa captivité. L’article wikipedia cité à l’instant suggère que :

“[p]aradoxalement, le vrai visage de Vercingétorix pourrait apparaître non pas sur un denier gaulois mais sur [ce] denier romain frappé en 48 av. J.-C. par L. Hostilius Saserna [2] 28“.Wikipedia - page Vercingetorix

Sur celui-ci, Vercingétorix a moustache, barbe et cheveux non coiffés.

Coin Vercingetorix
Frappé en 48 av. J.-C. à Rome, ce denier pourrait représenter Vercingétorix qui y était alors captif. (image sous CC Wikipedia)

Alors, Vercingétorix était barbu ? Pas si simple là non plus.

Car, s’il s’agit de Vercingétorix, en 48 av. J.-C., cela fait déjà 4 ans qu’il croupit dans les geôles du Tullianum et on imagine qu’il n’y avait pas là de quoi se raser.

Et si au contraire il s’agit d’une représentation générique de Gaulois, cette image n’est pas forcément représentative non plus, si ce n’est de l’image “traditionnelle” du Gaulois pour les Romains. En effet, sur le côté pile de la pièce, on voit un Gaulois sur son char de guerre. Or, à cette époque, cette pratique a été abandonnée depuis longtemps. L’image du Gaulois sur la face du denier est peut-être donc tout aussi anachronique et/ou fausse.

La question est en tout cas posée. On voit par cet exemple que cette interrogation apparemment bien triviale de savoir si oui ou non les Gaulois – et Vercingétorix au premier chef – avaient une moustache met en jeu des ressorts historiographiques complexes, des jeux de miroirs déformants.
Remontons d’abord aux sources de cet imaginaire pileux avant de chercher à démêler le vrai du faux à l’aide des dernières données archéologiques et des spécialistes de cette période mystérieuse.

LE PRISME DU XIXe SIÈCLE

Notre image des Gaulois nous vient principalement du XIXe siècle.

Je cite Thierry Widemann, chercheur en histoire à l’Institut stratégique de l’École militaire, dans son article “Les Gaulois et le roman national” issu du numéro consacré aux Gaulois de la revue TDC  :

C’est avec Amédée Thierry (Histoire des Gaulois, 1828) puis Henri Martin (Histoire de France, commencée en 1833) que les Gaulois vont arriver sur le devant de la scène avec un grand succès populaire. Dans ces récits, la France est devenue l’héritière de la Gaule. Cette histoire n’est pas celle des érudits, comme Michelet ou Fustel de Coulanges, qui considèrent que seules l’Égypte, la Grèce et Rome représentent une Antiquité digne d’intérêt. C’est une histoire populaire qui a pour fonction de définir, ou de redéfinir, l’identité de la France. Le Second Empire accentuera cette vocation idéologique et y ajoutant une composante politique : justifier une forme de pouvoir.Thierry Widemann

Pour une analyse détaillée et synthétique des œuvres les plus célèbres du XIXe siècle représentant les Gaulois et plus particulièrement Vercingétorix, je renvoie à ces deux adresses, celle de l’article de TDC cité supra et celle d’un dossier pédagogique présenté par le service éducatif du Muséoparc d’Alésia sous le titre “Le mythe des Gaulois et de Vercingétorix”  (de manière plus générale, le présent site Arrête Ton Char fourmille également de documents consacrés à ce personnage de la mythologie nationale).

Une chose est sûre, sur les deux représentations les plus célèbres du héros arverne que sont la statue du sculpteur Aimé Millet, qui domine le village d’Alise-Sainte-Reine en Côte-d’Or en Bourgogne depuis 1865 et le tableau Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César de Lionel Royer (1899), la moustache et les cheveux en bataille sont bien présents.

Les plus attentifs d’entre vous auront remarqué un intrus dans la galerie qui précède, il s’agit du Vercingétorix de François-Emile Ehrmann de 1869 qui, cas exceptionnel dans l’iconographie du XIXe siècle, ne porte pas la moustache. Mais on peut bien imaginer pourquoi : pour ce peintre spécialisé dans les grandes scènes d’histoire et de mythologie gréco-romaine, profil à la grec et moustache à la gauloise ne pouvaient guère faire bon ménage.

Cette iconographie du Gaulois entre brave sauvage et guerrier digne dans la défaite a été ensuite largement colportée par les manuels scolaires jusque parfois la seconde moitié du XXe siècle et notamment par les 2 plus célèbres, l’Histoire de France au cours élémentaire d’E. Lavisse et Le Tour de France par deux enfants de G. Bruno, best-seller de la IIIe république.

Pour une déconstruction en règle de ce concentré de clichés présent dans les quelques pages concernant les Gaulois du Lavisse, je vous invite à écouter sur ce même site la conférence prononcée par Matthieu Poux, archéologue, professeur d´archéologie romaine et gallo-romaine à  l´université Lumière-Lyon II et l’un des commissaires de l’exposition Gaulois, une exposition renversante à la Cité des sciences et de l’industrie, conférence diffusée dans l’émission Plateformes de France Culture de mars 2012. Cette conférence et l’exposition qu’elle accompagne sont à l’origine de cet antiqliché (notamment le début à partir de 3’43 puis à partir de 32′).

Moins célèbre mais néanmoins édifiant, L’histoire de France… racontée à mes petits-enfants de Guizot offre en 1872 avec cette illustration d’A. de Neuville le record, je pense, de longueur de cheveux pour notre héros national.

vercingétorix Neuville gros plan vercingétorix Neuville
Creusons encore plus profond pour trouver dans l’antiquité les sources de cette imagerie.

le Gaulois (hirsute ?) dans les textes antiques
Sur quelle base les historiens, artistes et auteurs de manuels scolaires du XIXè siècle se sont-ils basés pour imaginer et nous transmettre cet imaginaire ?

La première source, ce sont les textes.

Gallia Comata, la Gaule Chevelue

Dans un article maintenant ancien mais extrêmement précis intitulé “De certaines modes masculines gauloises touchant à la disposition des cheveux, de la moustache et de la barbe” (in Bulletin de la Société préhistorique française. Comptes rendus des séances mensuelles, Année 1969, Volume 66, Numéro 4, pp. 103-110), Marcel Chassaing se livre à un recensement des allusions à ces modes dans les textes antiques et il les confronte aux données iconographiques alors à sa disposition. Voilà ce qu’il dit à propos des textes antiques.

Strabon, géographe grec, Pline l’Ancien, écrivain latin et Dion Cassius, historien grec, nés respectivement vers 58 avant J.-C., en 23 et 155 de notre ère, se contentent de nous signaler que les Gaulois laissent croître leurs cheveux (Strabon, Livre IV, chap. IV, 3 ; Pline l’Ancien, Livre XI, XLVII ; Dion Cassius, XLVI, 55).
S’il faut en croire Sidoine Apollinaire, poète latin né à Lyon en 430, les Gaulois portaient les cheveux longs sur le devant et avaient le derrière de la tête tondue.
Comme on le voit, nos cinq auteurs s’accordent à attribuer aux Gaulois une longue chevelure, si leurs opinions respectives ne sont pas toujours exprimées avec la même précision ou peuvent différer dans le détail. Elles semblent en outre être confirmées par le nom de GALLIA COMATA (Gaule Chevelue) que les Romains donnaient à la partie de la Gaule située à l’ouest du Rhône.Marcel Chassaing

Cette expression de Gaule Chevelue, Gallia Comata, la Gaule non encore conquise par J. César entre -58 et -51, est absente des Commentaires sur la guerre des Gaules de Jules César mais présente chez Catulle, poète de la même époque, et un peu plus tard chez Pline l’Ancien (Histoire Naturelle, IV, 105).

Il y a eu débat sur le sens de cette expression, souvent interprétée comme Gaule recouverte de forêts. Mais l’analyse des pollens récente comme la densité de population sur cette zone à cette époque montrent qu’il est probable qu’il y avait moins de forêts en Gaule qu’à notre époque et même que dans l’Italie de Jules César. La Gallia Comata, c’est donc bien la Gaule des Gaulois chevelus. Au sujet de la longueur des poils des animaux, Pline l’ancien dans son Histoire Naturelle (XI, 47, 1), déclare ainsi au 1er siècle :

In capite animalium cunctorum homini plurimus pilus, iam quidem promiscue maribus ac feminis, apud intonsas utique gentes. atque etiam nomina ex eo Capillatis Alpium incolis, Galliae Comatae

Traduction adaptée de celle de Dubochet (1848) sur Remacle :
De tous les animaux, c’est l’homme qui a les poils de la tête les plus longs, et l’homme aussi bien que la femme, du moins chez les nations qui ne se coupent pas les cheveux ; de là même les noms de Chevelus (III, 7) que portent les habitants des Alpes, et de Gaule Chevelue (IV, 31)Pline l'Ancien

Il y a donc consensus sur des cheveux longs, ou du moins non coupés. Mais en ce qui concerne la moustache  plus particulièrement, le texte antique fondamental est celui-ci.

Diodore de Sicile

Il s’agit de l’extrait de La bibliothèque historique de Diodore de Sicile, Livre V, chap. 28.

[5,28] Οἱ δὲ Γαλάται τοῖς μὲν σώμασίν εἰσιν εὐμήκεις, ταῖς δὲ σαρξὶ κάθυγροι καὶ λευκοί, ταῖς δὲ κόμαις οὐ μόνον ἐκ φύσεως ξανθοί, ἀλλὰ καὶ διὰ τῆς κατασκευῆς ἐπιτηδεύουσιν αὔξειν τὴν φυσικὴν τῆς χρόας ἰδιότητα. τιτάνου γὰρ ἀποπλύματι σμῶντες τὰς τρίχας συνεχῶς {καὶ} ἀπὸ τῶν μετώπων ἐπὶ τὴν κορυφὴν καὶ τοὺς τένοντας ἀνασπῶσιν, ὥστε τὴν πρόσοψιν αὐτῶν φαίνεσθαι Σατύροις καὶ Πᾶσιν ἐοικυῖαν· παχύνονται γὰρ αἱ τρίχες ἀπὸ τῆς κατεργασίας, ὥστε μηδὲν τῆς τῶν ἵππων χαίτης διαφέρειν. τὰ δὲ γένεια τινὲς μὲν ξυρῶνται, τινὲς δὲ μετρίως ὑποτρέφουσιν· οἱ δ´ εὐγενεῖς τὰς μὲν παρειὰς ἀπολειαίνουσι, τὰς δ´ ὑπήνας ἀνειμένας ἐῶσιν, ὥστε τὰ στόματα αὐτῶν ἐπικαλύπτεσθαι. διόπερ ἐσθιόντων μὲν αὐτῶν ἐμπλέκονται ταῖς τροφαῖς, πινόντων δὲ καθαπερεὶ διά τινος ἡθμοῦ φέρεται τὸ πόμα.

Traduction : F. Hoefer (1865)(Source : Remacle)
Les Gaulois sont grands de taille; ils ont la chair molle et la peau blanche: leurs cheveux sont naturellement blonds, et ils cherchent par des moyens artificiels à rehausser cette couleur : ils les lavent fréquemment avec une lessive de chaux, ils les retirent du front vers le sommet de la tété et la nuque, de sorte qu’ils ont l’aspect de Satyres et de Pans. Grâce à ces moyens, leurs cheveux s’épaississent tellement qu’ils ressemblent aux crins des chevaux. Quelques-uns se rasent la barbe et d’autres la laissent croître modérément, mais les nobles se rasent les joues, et laissent pousser les moustaches, de manière qu’elles leur couvrent la bouche. Aussi leur arrive-t-il que, lorsqu’ils mangent, les aliments s’y embarrassent, et, lorsqu’ils boivent, la boisson y passe comme à travers un filtre. Diodore de Sicile

Les voici donc enfin, les moustaches tant recherchées !… mais le problème, c’est que Diodore ne dit pas du tout que TOUS les Gaulois avaient des moustaches. Il dit au contraire que seuls les nobles (οἱ δ´ εὐγενεῖς) se rasent les joues et portent moustaches, ou du moins une barbe en collier. Les autres ont une barbe variable. Les constructeurs du mythe gaulois au XIX siècle ont gardé l’idée de moustaches mais l’ont généralisée et bien souvent allongée.

Un autre texte antique vient par ailleurs contredire ce port de moustaches chez tous les Gaulois. César dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules (V, 14, 4) n’a jamais parlé des moustaches des Gaulois alors que celles des Bretons l’ont impressionné :

capilloque sunt promisso atque omni parte corporis rasa praeter caput et labrum superius.

Ils portent leurs cheveux longs, et se rasent tout le corps, excepté la tête et la lèvre supérieure.Jules César

Christian Goudineau, dans un article fondamental pour notre question présent dans l’ouvrage Regards sur la Gaule, “Par la barbe et la moustache de mes aïeux” émet donc l’hypothèse suivante (p. 91)

Donc [les Bretons] ne se coiffent pas les cheveux et portent la moustache. Or, ces Bretons ont conservé certains traits que les Gaulois ont abandonnés depuis quelques temps, par exemple l’usage des chars de guerre. La moustache ne serait-elle pas l’une de ces survivances, celle d’une mode ancienne ?

Quelles conclusions pouvons-nous tirer des textes antiques quant à notre question : les Gaulois avaient des cheveux longs, le port de la moustache était possible mais pas généralisé.
Allons voir maintenant du côté de l’iconographie.

ICONOGRAPHIE

Des cheveux oui, mais bien coiffés

Les Gaulois ne se couperaient donc pas les cheveux mais qu’en font-ils ? Les laissent-ils en bataille comme le Vercingétorix de Dorffman ? C. Goudineau nous dit le contraire.

Les nombreuses représentations que nous livrent, pour les IIe et Ier siècle avant J. C., les statues et les monnaies provenant de l’ensemble du monde celtique démontrent à quel point la chevelure était l’objet de soins incroyables.

statère d'or attribué aux Vénètes, région de Vannes, IIe-Ier siècles avant J-C
statère d’or attribué aux Vénètes, région de Vannes, IIe-Ier siècles avant J-C
Avers d'une pièce de monnaie en or des Parisii (IIe siècle avant notre ère). Musée de Brno, Tchécoslovaquie. By Pragus
Avers d’une pièce de monnaie en or des Parisii (IIe siècle avant notre ère). Musée de Brno, Tchécoslovaquie. By Pragus

 

Sur ces dernières statues, cf. le très beau site Les Gaulois en provence, l’oppidum d’Entremont.

Sans compter les nuances de teinture dont étaient apparemment friands les peuples Celtes dans l’antiquité.

Pour reprendre l’expression de C. Goudineau (opus cit. p. 88) “la Gaule Chevelue, c’est la Gaule qui se coiffe !”.

Marcel Chassaing (art. cit. p. 105 sq.) relève 2 coiffures spécifiques aux Gaulois : une coupe avec des mèches parallèles séparées par des sillons, une coupe avec cheveux plaqués sur le crane (à l’emplacement de la tonsure des moines) et mèches plus souples autour du visage. Je vous renvoie à l’article pour la démonstration.

Les découvertes archéologiques de ces dernières décennies ont confirmé cet attachement à l’apparence physique, notamment par la découverte d’ustensiles de soin présents en grand nombre dans les nécropoles, dans les tombes masculines comme dans les tombes féminines : rasoirs, peignes, cure-oreilles, etc. On trouvera par exemple ici un article sur une pince à épiler cure-oreilles amusant. Le site d’Acy-Romance, d’où provient cet objet, est d’ailleurs très riche.

Dans l’émission C’est pas sorcier concernant les Gaulois, le passage 2mn15 à 2mn40 concerne ces ustensiles de toilette.

Ch. Bruneau dans un entretien avec le Nouvel Observateur (Hors série de juillet-août 2011 “La Vérité sur les Gaulois”, p. 8-9 ) nuance ce rasage généralisé en le limitant aux nobles.

Dans le dossier pédagogique qui accompagne la passionnante exposition Les Gaulois font la tête qui a eu lieu à Bibracte en 2010, l’utilisation des miroirs évoquée dans le C’est pas sorcier est également nuancée.

Il n’en reste pas moins que l’attention au corps et à l’apparence physique semble, elle, partagée dans le monde celte .

C’est ce que confirme Jean-Louis Brunaux, autre grand spécialiste contemporain des Gaulois, dans un entretien intitulé “La vérité sur les Gaulois” donné au Nouvel Observateur à l’occasion d’un Hors-Série  de juillet-août 2011 consacré aux Gaulois :

Voilà pour la coiffure. Mais qu’en est-il de notre moustache ?

Une moustache qui disparait peu à peu.

Dans un entretien qu’il a donné au Nouvel Observateur ( 4 au 10 août 2005, p. 6), voici comment Ch. Goudineau résumait l’évolution du port de la moustache du VIe siècle à la période gallo-romaine.

Les images en question :

Vers 500-450 av. J.-C.Statue dite "Prince de Glauberg", découverte dans les 1990s (image sous CC wikipedia)
Vers 500-450 av. J.-C.Statue dite “Prince de Glauberg”, découverte dans les 1990s (image sous CC wikipedia)
Têtes accolées de Roquepertuse à la façon des Hermès grecs. Sculpture celto-ligure (Velaux, Bouches-du-Rhône, France), Ve siècle avant J.-C. © Musées de Marseille, Frédéric Dadena, Ceter, Ville de Marseille

Des images issues du dossier en ligne qui accompagne l’exposition “Les Gaulois font la tête réalisée à Bibracte en 2010

DDying Gaul Musei Capitolini MC747.jpg
Détail de la scuplture dite Le Galate mourant1,, copie romaine en marbre d’un original grec perdu, vraisemblablement exécuté en bronze, commandé entre 230 et 220 av. J.-C. par Attale Ier de Pergame pour commémorer sa victoire sur les Galates. Cette sculpture antique est exposée au palais des Conservateurs (musée du Capitole) à Rome.[MC747] » Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Parmi toutes ces statues, la seule connue au XIXe siècle était “Le Gaulois mourant”, elle a fortement influencé l’imaginaire européen mais cette influence ne date pas d’hier. Cette sculpture fait en réalité partie d’un type déjà à la mode au IIIe siècle avant J.-C.

Je citerai encore une fois Ch. Goudineau (opus cit.)

[L’image traditionnelle du Gaulois] dérive des sculptures de l’école de Pergame, de la seconde moitié du IIIe siècle avant J.-C. A cette époque, faute d’avoir réussi à s’établir en Grèce, des “bandes” celtiques avaient fini par créer un “royaume” au cœur de l’Asie mineure, que les Grecs appelaient la Galatie, de même qu’ils nommaient Galates leurs habitants. Ceux-ci, loin de se contenter de cultiver leurs terres, multipliaient les raids contre les cités côtières. La guerre contre les Galates était une sorte d’exercice obligé et répétitif, qui devint également un thème artistique et littéraire, notamment dans le royaume de Pergame. Des ensembles sculpturaux fameux – dont on connait surtout le “Gaulois mourant” – connurent une postérité brillante, grâce à des copies romaines : le groupe des “Ludovisi”, les “Gaulois” du musée du Capitole de Rome ou de Venise.

Cette image du Gaulois grand, athlétique, et surtout moustachu avec les cheveux longs a finalement recouvert les évolutions et les nuances que nous fait découvrir l’archéologie.

Marcel Chassaing évoque ainsi un type de moustaches qu’il estime majoritaire et typiquement gaulois, une moustache réduite à l’espace qui relie la narine avec la commissure des lèvres, moustache qu’on appellera 101 bien plus tard (un pour chaque moustache et 0 pour le vide qui les sépare) et que porteront encore Frédéric 1er de Russie et Louis XIV au XVIIe siècle. La barbe en collier lui parait également très gauloise. Le buste de Caracalla (Ie-IIe siècle ap. J.-C.), dont on connait le goût pour les modes gauloises, attesterait de la persistance de cette mode déjà bien présente dans les bas-reliefs gaulois.

Détail d'un buste de Caracalla (musée du Louvre, Ma1106) - Image sous CC wikipedia
Détail d’un buste de Caracalla (musée du Louvre, Ma1106) – Image sous CC wikipedia

Ch. Goudineau (opus cit.) évoque enfin une différence possible entre jeunes gens (imberbes) et “vieux” (barbus/moustachus) qu’attesterait le Pilier des Nautes (1er siècle, sous le règne de Tibère).

Nautes seniores Nautes juniores

Des moustaches oui mais pas à toutes les époques, pas dans toutes les catégories de population, pas de la même sorte, pas aux mêmes âges… on est donc loin de la belle uniformité des albums d’Astérix.

Tout ça pour ça me direz-vous ?

L’enquête n’est pourtant pas vaine, il me semble,  dans la mesure où, pour les Romains, cette histoire de poils n’était pas anodine. Citons une dernière fois Ch. Goudineau (opus cit. p. 88)

La moustache, la barbe. Pour ceux qui auraient l’impression d’aborder une question pittoresque ne tirant guère à conséquence, rappelons un texte de Pline l’Ancien : “Le premier accord tacite entre les peuples a porté sur l’adoption des lettres ioniennes (…). Le second accord entre les peuples a consisté à introduire les barbiers, toutefois avec quelque retard à Rome (…). Le troisième accord a porté sur la notation des heures”.

On ne saurait mieux démontrer l’importance prêtée par les Romains au traitement de la pilosité masculine ! L’usage du barbier relevait de la civilisation au plus haut degré !

Et surtout, au fil de cette enquête tortueuse et sans doute frustrante, on aura eu l’occasion d’explorer le jeu complexe et trompeur des représentations de l’antiquité, l’exploitation permanente de l’image des Gaulois, ce peuple qui n’a pas écrit sur sa propre histoire, par ceux qui ont écrit sur eux, des Romains conquérants aux français vaincus de 1870. Elle nous aura aussi montré les apports de l’archéologie, apports fascinants mais fragiles ainsi que l’ancienneté et l’enracinement des clichés, notamment de la part des vainqueurs.

Joie de l’étude des langues et cultures de l’antiquité, lorsque le détail le plus trivial de la vie quotidienne se transforme en mystère insondable…

 

A propos Clémence Coget

Enseignante Lettres classiques dans l'académie de Lille - Co-présidente de l'Association de Promotion des Langues Anciennes de l'Académie de Lille (APLAAL - http://aplaal.fr/) - Membre du comité de rédaction et webmestre de la revue Recherches (revue de pédagogie et de didactique du français - http://www.recherches.lautre.net/)
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