Mme la Ministre, arrêtez le saccage d’un des derniers espaces d’imaginaire et de rêve de nos enfants !

Langues & Cultures de l’Antiquité : au-delà de la langue et de la déclinaison, un espace de l’imaginaire et du rêve pour nos enfants

Egypte, Grèce et Rome antique, Incas et Mayas. Quel enfant, au sortir du Primaire et à l’entrée au Collège n’éprouve pas un émerveillement presque magique face aux mystères de ces civilisations disparues ?

A cette âge charnière, l’enfant a encore besoin de s’entendre raconter des histoires et l’adolescent se croit, dit-on, invulnérable et part en quête d’une fantasy et d’un souffle épique qui lui permettent de s’évader d’un quotidien jugé trop terre à terre.

 

2008 : l’Egypte disparaissait du programme d’Histoire de sixième (au profit de la Chine) et avec elle, pour beaucoup d’élèves, un premier contact avec la civilisation et les mythes par-delà Mare Nostrum.

2016 : réduire Latin et Grec ancien au rang de modules facultatifs dans certains établissements alors qu’ils étaient proposés jusque-là à 95% des collégiens, porterait un nouveau coup à l’imaginaire de nos enfants.

Aussi proposons-nous à Mme la Ministre qu’elle offre véritablement à tous les élèves du collège un enseignement obligatoire de Langues & Cultures de l’Antiquité qu’elle-même présente comme une voie d’« excellence ».

Qu’à la rencontre des textes et des cultures antiques, tous les collégiens découvrent ces archétypes mythiques et narratifs qui inondent le monde de la culture et de la création et permettent de comprendre aussi bien le monde ancien que le monde moderne. De l’Olympe au Comics, il n’y a qu’un pas : le mythe est par nature recyclable. Les éditeurs ne s’y trompent pas, eux qui années après années, marchandent l’Antiquité sous toutes ses formes : romans, Bandes dessinées, littérature jeunesse, jeux vidéos, séries télé (Rome, Spartacus, Peplum, Plebs, Nymphs) et blockbusters holywoodiens (Pompéi, Hercules, 300, et une nouvelle Odyssée à venir).

 

Ainsi, dans la période de crises diverses que traverse notre société, l’école républicaine pourra offrir à la jeunesse les modèles héroïques des débuts de la République romaine (Coclès, Scaevola, Clélie, Regulus…) qui portent en eux les idéaux masculins ET féminins de courage, d’engagement, d’altruisme, d’abnégation, de patriotisme, d’honneur et de respect de la parole donnée.

De même, la maîtrise de la langue française se renforcera de l’étude approfondie de ses racines et s’enrichira de la beauté poétique des expressions issues de la mythologie. Chacun pourra continuer à « se croire sorti de la cuisse de Jupiter », « jouer les Apollon » ou « être médusé ». Peut-être même l’intercompréhension entre langues anciennes et modernes permettra-t-elle de soulager le talon d’Achille de l’enseignement des langues en France.

Muni d’un bagage commun de culture antique, les générations futures seront plus à même d’appréhender la création artistique qui aujourd’hui encore continue à s’inspirer de l’antiquité (Lichtenstein, Mapplethorpe, Koons…)

Enfin, les religions « panthéistes » des grecs et des romains fourniront aux élèves un exemple rassurant, une prise de recul pour les enfants de toutes confessions, grâce à l’image d’un polythéisme (relativement) pacifique, tolérant, intégrant et non intégriste (voir le cas des cultes orientaux à Rome), loin de la fureur des extrémismes et conflits violents des religions monothéistes qui leur sont donnés à voir tous les jours dans les médias et resservis dans les programmes d’Histoire.

Bref, une leçon de sagesse.

 

Alors, Mme la Ministre, faites une place dans l’enseignement obligatoire au Latin et au Grec ancien de sorte que les derniers espaces d’imaginaire et de rêve de nos enfants ne se limitent pas encore un peu plus aux super-productions américaines de films et de jeux vidéos.Pour que la mythologie ne devienne pas l’apanage des publicitaires qui vanteront les mérites de la dernière version, forcément mythique de leurs tablettes ou smartphones, Galaxy ou Nexus : tiens encore du grec et du latin !

 

R. Delord pour l’association « Arrête Ton Char ! les Langues & Cultures de l’Antiquité aujourd’hui »

article publié dans les pages débats de l’Obs n°2638 du 28 mai au 2 juin 2015

A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

3 3 réactions

  1. Olivier Guérault

    Bonjour,

    Votre texte est excellent, mais en partie inexact. Il est toujours possible en 6ème d’aborder l’Egypte ou la Mésopotamie en histoire dans le premier chapitre “Orient ancien”. Personnellement je préfère la Mésopotamie avec Gilgamesh, mais mes deux autres collègues abordent l’Egypte.

    • Vous serez d’accord, je pense, pour reconnaître que la place qui était réservée à l’étude de l’Egypte antique a été largement réduite et conduit à faire des choix cornéliens. Un certain nombre d’enseignants d’Histoire n’arrivant pas à boucler leur séquence sur la Grèce et Rome en fin d’année.

  2. Olivier Guérault

    C’est vrai que la séquence sur l’Orient ancien est très courte mais se voit souvent complétée par les séquences des collègues français qui en général approfondissent des aspects de la civilisation égyptienne. Mais elle ne disparait pas. Par contre j’ai effectivement du mal à comprendre en quoi la Chine est un des fondements de la culture occidentale ! A mon avis le plus grave est la place réservée à l’antiquité gréco-romaine. Une multitude de concepts complexes du style citoyenneté en Grèce et à Rome, un éclairage forcément réducteur sur différentes périodes très éloignées (saut de géant entre la République et l’Empire, étude de l’armée romaine à un moment précis), un temps minimum consacré aux éléments culturels et mythologiques qui, comme vous dites, sont essentiels pour comprendre notre richesse culturelle actuelle et ne pas penser par exemple “qu’avoir un œil de lynx” fait référence à un élégant félin au lieu d’un des Argonautes. Combien de temps j’ai passé à démonter un film comme Troie qui trahit complètement l’Iliade ou comme Gladiator qui, sous un verni réaliste, trahit l’Histoire. Nous sommes donc d’accord à 96 % !!! Si la situation continue à empirer comme le laissent entendre les décisions de notre ministre victime d’une hybris démesurée, les enfants actuels ne connaitront plus des pans entiers de notre culture que par des peplums plus ou moins ratés et des bd plus ou moins réussies.

    Bonne soirée

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