Prat’hic #3 : La phrase de la semaine, pour Nadia Pla, c’est lundi !

Vos pratiques sont fantastiques ! Régulièrement, ATC va donner la parole à des enseignants pour qu’ils nous fassent découvrir une activité menée en cours de langues anciennes.

Aujourd’hui, zoom sur un rituel qui fait partie des recommandations officielles : la phrase rituelle commentée et traduite. Voici comment Nadia Pla s’en est emparé et a inspiré beaucoup de collègues !

 

En Bref

Bonjour Nadia Pla, pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’activité que nous avons appelée “La phrase de la semaine, pour Nadia Pla, c’est lundi !” ?

J’écris le lundi matin une phrase latine à la main (j’accorde en effet beaucoup d’importance à l’écriture manuscrite) tout en haut du tableau. Elle reste inscrite toute la semaine, et la semaine suivante je l’imprime en gros caractères sur une feuille de format A4, et cette version “affichette imprimée” va rejoindre ses sœurs sur le mur du fond de la salle.

Le rituel proprement dit consiste en une tentative de traduction puis de commentaire de la phrase par les élèves. Il ne doit pas dépasser 5 mn, sinon c’est trop chronophage, mais bien sûr il y a des exceptions pour certaines phrases de temps en temps.

Il y a également un “rituel dans le rituel” : chaque semaine précédant une période de vacances, je propose une phrase un peu spéciale. Ce peut être un jeu de mots, un rébus, une phrase codée, du faux latin, etc.

 

Avec quelle classe l’avez-vous menée ?

J’ai commencé dans mon premier établissement, à Villepinte, dans l’académie de Créteil, mais j’ai surtout développé la pratique dans mon établissement actuel au Perreux-sur-Marne (dans la même académie), où j’enseigne depuis 2009. C’est un collège et j’y ai en charge les trois niveaux de latin : 5e, 4e et 3e. La phrase de la semaine est la même pour les 3 niveaux. Elle n’est en principe réservée qu’aux élèves latinistes, mais il est fréquent que les élèves que j’ai en français ou ceux qui suivent les cours d’une collègue d’espagnol avec qui je partage la salle soient intrigués et viennent m’en demander la signification – voire la demandent à leurs camarades latinistes, tout fiers de leur expliquer !

Depuis quelques années, j’affiche aussi la phrase sur la porte de mon casier dans la salle des professeurs, mes collègues s’amusent parfois à essayer de traduire. Et depuis 2017, je publie la phrase sur Facebook (et depuis quelques semaines sur Twitter), avec un petit commentaire (qui s’est épaissi au fil des années !) destiné avant tout à mes nombreux amis et connaissances qui ne pratiquent pas le latin, afin de leur faire partager mon attrait pour ces phrases. Mais je sais que beaucoup de professeurs de latin qui me suivent apprécient aussi ce petit rituel… Depuis un an, je poursuis le rituel sur Facebook aussi les lundis de vacances, en proposant à ceux qui m’y suivent des phrases qui ne conviendraient pas pour les élèves, parce qu’elles sont trop complexes à expliciter, sans intérêt pour eux, ou que ce sont des phrases “coquines” que la décence m’interdit de proposer à des collégiens !

 

Aux origines du projet

Quelle est la genèse de ce projet ?

J’ai toujours aimé les phrases courtes et denses, c’est même le sens premier du mot “maxime”, en latin “maxima sententia”, “la phrase la plus grande”, c’est-à-dire la phrase ayant le plus grand sens exprimé par le moins de mots. Cela me vient certainement de mon père, le calligraphe Hassan Massoudy, qui calligraphie toujours une phrase courte et forte dans chacune de ses œuvres : toute mon enfance, je l’ai entendu citer ses phrases préférées à toute occasion.

J’ai aussi été frappée par le fait que beaucoup de phrases latines sont connues par des non latinistes, par exemple celles que l’on trouve dans Astérix, alors même que Goscinny et Uderzo ont déclaré ne pas connaître le latin et puiser leur inspiration dans les pages roses du Petit Larousse. Plus près de la culture de nos élèves, des phrases comme “Carpe diem” (“Cueille le jour”), “Veni vidi vici” (“je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu”), ou “Tempus fugit” (“Le temps fuit”) se retrouvent dans des refrains de chansons contemporaines, dans des publicités, etc. Cette connaissance préalable de certaines phrases rassure les élèves et on peut les alterner avec d’autres moins connues.

Au début, j’ai constitué une petite liste avec les phrases auxquelles je pensais, puis j’ai repris ces fameuses pages roses du Petit Larousse pour compléter, et depuis une quinzaine d’années qu’existe le rituel, j’ajoute régulièrement des phrases que je rencontre au hasard de mes lectures et qui me plaisent.

 

Quels objectifs vous étiez-vous donnés ?

C’est un double objectif.

Un objectif culturel, car les phrases permettent souvent soit d’aborder des connaissances historiques sur l’Antiquité gréco-romaine, soit d’amorcer une réflexion dans un tout autre domaine, comme la physique avec “Natura abhorret vacuum” (“La nature a horreur du vide”) ou des questions éthiques, comme “Si vis pacem, para bellum” (“Si tu veux la paix, prépare la guerre”).

Mais aussi un objectif de langue. Ces phrases courtes et faciles à retenir sont idéales pour fixer une notion de grammaire,  comme les cas des noms, les temps des verbes, etc. Par exemple, quoi de mieux que “Tarde venientibus ossa” (“Pour ceux qui viennent tard [ne restent que] les os”) pour comprendre la traduction du participe présent par “ceux qui…”, ou que la célèbre devise de Hogwarts / Poudlard, “Draco dormiens numquam titillandus” (“Il ne faut jamais chatouiller le dragon qui dort”) pour comprendre le fonctionnement de l’adjectif verbal en “-ndus” ?

 

Faber fit fabricando

Qu’ont eu à faire les élèves avant l’activité   ?

Rien. La phrase de la semaine est une surprise à chaque fois, pour eux, et même pour moi qui parfois la choisis quelques minutes avant mon premier cours du lundi !

 

Qu’ont à faire les élèves pendant l’activité ?

Je leur demande tout ce qu’ils peuvent dire sur la phrase (en fait, je n’ai plus à demander aux élèves de réagir à la phrase inscrite au tableau, car la plupart du temps, ils commencent à lever la main avant même que je n’aie fini de faire l’appel).

Selon leur niveau et la difficulté de la phrase, ce peut être juste un mot, une forme grammaticale, la phrase entière. C’est parfois l’occasion de revoir brièvement un point de langue abordé les jours précédents.

Une fois qu’on a la traduction, je l’écris au tableau. Ils reportent à la fin du cahier ou du classeur la phrase avec sa traduction, puis, dans un deuxième temps, on discute sur le sens de la phrase et sur son interprétation.

 

Quel a été le rôle du professeur pendant l’activité ?  

Parfois aucun, quand les élèves trouvent tout tout seuls. Sinon, je les relance en leur donnant des pistes. Je peux aussi leur faire deviner des choses, à partir de ce qu’ils savent déjà.

 

Quelle implication des élèves ?  

Ils aiment cette activité et font de réels efforts pour venir à bout de la phrase. Il arrive que certains se disputent la primeur des premières hypothèses ! Certains sont toujours les premiers à lever la main chaque semaine. D’autres commencent à en discuter entre eux dans le couloir, en attendant que je les fasse entrer. D’autres encore se chargent de me rappeler le rituel quand je l’oublie (un élève, m’ayant demandé comment on disait “phrase de la semaine” en latin, s’était fait la spécialité de me réclamer chaque semaine “sententia septimanae” !)

L’implication se manifeste aussi plus tard, quand je leur parle de tel ou tel point de langue ou de culture, et qu’ils se souviennent qu’on en a déjà parlé dans une des phrases de la semaine.

Certains se souviennent parfois des phrases des années précédentes !

On fait le bilan

Quel est le ressenti du professeur ? des élèves ?

J’adore ce moment du lundi matin, car je joue vraiment le jeu. À part pour les phrases spéciales d’avant vacances que je choisis en général à l’avance, j’arrive le plus souvent au collège le lundi matin en ne sachant pas plus que les élèves quelle sera la phrase. Je choisis en fonction des phrases déjà vues, parfois d’une leçon de grammaire ou de civilisation vue avec l’une des classes, parfois de l’actualité, parfois de ma propre humeur…

Ce moment du choix est d’abord un rituel très fort pour moi.

Les élèves pour la plupart aiment ce rituel ; je pense que c’est parce que c’est une activité décrochée du cours habituel, avec une surprise chaque semaine.

 

Les élèves ont la parole : Avez-vous des témoignages d’élèves à nous partager ?

“Les phrases de la semaine est un rituel que nous faisons en cours de Latin. Toutes les semaines, une nouvelle phrase apparaît au tableau, nous essayons de la traduire et d’expliquer ce qu’elle peut signifier. C’est un rituel que j’apprécie beaucoup car cela permet de connaître certaines anecdotes de la Rome Antique” (Titouan, 3e)

 

“Ça m’intéresse de témoigner, car j’aime bien les phrases de la semaine” (Evelina, 5e)

 

“Les phrases de la semaine sont intéressantes car on apprend des nouveaux proverbes en latin comme par exemple : “schola scala” ou encore “memento mori” ou bien “veni vidi vixi”.  On apprend aussi grâce à ces phrases du nouveau vocabulaire. Ce qui me plaît c’est de retrouver ces mots notés au tableau et que l’on peut réutiliser dans les exercices.” (Ary, 5e)

[Note : Ary cite bien la phrase de Victor Hugo, “Veni vidi vixi”, “Je suis venu, j’ai vu, j’ai vécu”, qui s’inspire de la célèbre phrase de Jules César “Veni vidi vici”]

 

“J’aime beaucoup les phrases de la semaine, car ça sert à découvrir ce qu’avaient dit les grandes personnes de l’époque et aussi à apprendre de nouveaux mots latins ! Ça se déroule toujours en début de cours. On traduit et notre prof nous explique la signification et pourquoi elle l’a mise. Et c’est très sympathique de découvrir de nouvelles phrases chaque semaine.” (Eva, 5e)

 

Quelle “évaluation” / retour pour savoir si les élèves ont compris ?

Aucune évaluation sur ces phrases.

Toutefois certaines années, j’en mettais deux à traduire en bonus dans chaque contrôle. D’autres années, j’avais fait un concours de traductions de citations latines lors de la journée Portes Ouvertes.

En revanche, je m’y réfère fréquemment oralement dans le cours comme exemple d’un mot de vocabulaire ou d’une construction grammaticale ou d’un thème ; parfois ce sont des élèves qui y pensent spontanément. L’affichage mural des phrases de l’année scolaire écoulée facilite cette référence rapide.

 

Y-a-t-il des difficultés, des surprises ?

Bien sûr, il arrive assez souvent qu’un élève pose une question ou propose une interprétation, que ce soit dans le domaine linguistique ou culturel, à laquelle je n’avais pas pensé ! En ce cas, je le félicite, et si une vérification s’impose, je la fais le soir-même pour en parler à la classe au cours suivant.

 

Comment s’organise ce rituel à la longue ? 

J’ai un système de “cochage” de façon à ce que, sur les trois années de collège d’un élève, la même phrase ne revienne jamais. Cela fait un total de 100 phrases environ pour l’ensemble des trois années. J’essaie de m’astreindre à proposer au cours de cette période toutes les phrases célèbres incontournables (comme “Alea jacta est”, “Les dés sont jetés”, “Carpe diem”, “Cueille le jour”, ou encore “Cogito ergo sum”, “Je pense donc je suis”, etc.), afin que chaque élève sorte du collège avec ce bagage culturel fondamental.

 

Où peut-on retrouver votre phrase de la semaine sur les réseaux sociaux ?

Sur Facebook, sur la page dédiée à mon blog, “Chemins antiques et sentiers fleuris” :

https://www.facebook.com/cheminsantiquesetsentiersfleuris/

 

Sur Twitter, sur le compte “Chemins antiques et sentiers fleuris”, @CheminsAntiques

https://twitter.com/CheminsAntiques?t=oA3Slb3DsClaP5-v65E6wA&s=09

 

 

 

Si vous souhaitez poser des questions à Nadia Pla, n’hésitez pas à le faire en commentaire de cet article, nous les lui ferons suivre.

Si vous souhaitez vous aussi raconter un de vos cours, n’hésitez pas à prendre contact avec nous.

A propos Arrête Ton Char !

Propositions du collectif : https://www.arretetonchar.fr/manifeste-arrête-ton-char-les-lca-aujourdhui/

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