Hunger Games : Panem et Circenses futuriste (article augmenté)

Pour commencer, le petit clip d’introduction de ma conférence sur le sujet au Festival Européen du Latin Grec 2015 (ENS Lyon – jeudi 19 mars 2015)

Histoire et mythologie antique dans la saga Hunger Games

« Le dieu enjoignit alors aux Athéniens d’apaiser le roi Minos et de se réconcilier avec lui pour voir la fin de leurs malheurs. Ils dépêchèrent un héraut pour demander la paix, puis ils conclurent un traité, aux termes duquel Athènes devait envoyer tous les neuf ans un tribut de sept garçons et d’autant de jeunes filles. Voilà les faits sur lesquels la plupart des historiens sont d’accord. Quant au sort des enfants déportés en Crète, le récit le plus tragique les montre tués dans le labyrinthe par le Minotaure ou bien y mourant après avoir erré en vain pour trouver une issue. » Plutarque, Vies des hommes illustres, Vie de Thésée.

   A l’occasion de la sortie de l’adaptation cinématographique du troisième opus de la saga Hunger Games, nous avons décidé de reprendre l’article écrit il y a quelque temps sur le premier tome de la série.

   Nous essaierons donc de relever ici toutes les références au monde antique qui émaillent l’oeuvre et ses adaptations cinématographiques pour pousser encore plus loin l’analyse de cette trilogie déjà culte, critique virulente de la société du spectacle qui fait de la télé-réalité, de ses sponsors et de son public le véritable Minotaure dévoreur de jeunes gens.

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I. Mythologie

   Suzanne Collins le confie elle-même, son personnage principal est un « nouveau Thésée ». Elle revisite le mythe du héros libérant la cité d’Athènes du tribut qu’elle devait à Minos, roi de Crète, depuis la mort de son fils et sa victoire sur les Athéniens, qui demandait qu’on lui livrât tous les neufs ans sept jeunes gens et sept jeunes filles qu’il livrait en patûre au Minotaure.

   « Dans l’Antiquité, les Grecs devaient, pour expier les pêchés du passé, envoyer chaque année sept garçons et sept vierges en Crète, dans le labyrinthe de Dédale, où le Minotaure et une mort certaine les attendaient. J’ai toujours été choquée par la dureté de cette histoire. Le pouvoir en place disait aux Grecs : “Sortez du droit chemin et nous ferons pire que vous tuer, nous tuerons vos enfants.” En même temps, les parents toléraient ça. Il a fallu l’intervention de Thésée, qui se porta volontaire, pour mettre fin à cela, grâce au fil d’Ariane. »

   Katniss et Thésée partagent plusieurs points communs. Ce sont d’abord deux personnages marqués par la perte de la figure paternelle : Thésée suite au suicide du roi Egée qui croyait justement que son fils avait trouvé la mort dans le labyrinthe ; Katniss dont le père a été tué par un coup de grisou dans la mine dans laquelle il travaillait. (Ce père père chasseur dont la voix arrêtait les oiseaux n’est d’ailleurs pas sans rappeler Orphée.) Comme Thésée, Katniss qui a décidé de prendre la place de Prim, sa petite soeur de 12 ans, est donc volontaire pour pénétrer dans le labyrinthe.

   Le personnage de Katniss dont l’arme de prédilection est l’arc est également inspiré des Amazones (Atalante) et de la déesse de la chasse Artémis-Diane. Elle est finalement l’héritière de tous les personnages mythologiques et historiques de l’Antiquité, meneurs d’hommes qui se sont élevés contre un pouvoir oppressif (Zeus, Prométhée, Hannibal, Vercingétorix, Bouddica…) et ont déclenché une révolution.

   On remarquera également qu’Haymitch Abernathy, l’entraîneur des tributs du district 12, est présenté avec insistance comme le Mentor des deux jeunes gens.

   Pour ceux qui ont lu les trois tomes de la saga, on retrouve aussi les personnages suivants : Lavinia, Brutus, Castor, Caecilia, Alma, Cressida, Darius, Flavius, Fulvia, Plutarch, Messala, Octavia, Pollux, Portia, Purnia, Tigris, Titus… On voit bien dans cette liste la part d’emprunts à l’Histoire et à la mythologie antique et la part d’inventions à consonance latine.

   Enfin, on retrouve dans Hunger Games une partie du bestiaire antique : des monstres : oiseaux merveilleux, insectes mortels, chiens-cerbère qui prennent la place du Minotaure antique, tandis que le geai moqueur, symbole despoir figurant sur les couvertures de la trilogie et les affiches de ses adaptations, est une imitation du Phénix.

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I. Panem et circenses

   Les Hunger Games, « jeux de la faim » se déroulent donc à Panem, univers créé par Suzanne Collins qui est une reprise assumée de l’expression de Juvénal (Satires, X, v.81), « Panem et circenses », du pain et des jeux, qui critiquait au IIème siècle après J.-C. la mollesse d’un peuple romain qu’il suffisait de nourrir (panem) et de distraire (circenses) pour lui ôter toute vélléité de révolte ou même de responsabilité politique.

   On découvre ainsi une société rongée par son appétit immodéré du spectacle utilisé à des fins de propagande et de contrôle politique de la population, art dans lequel certains empereurs romains sont passés maîtres.

   Il s’agit ni plus ni moins, dans un cas comme dans l’autre, de priver le peuple de son sens critique en l’abreuvant d’images. Pour ce faire, Romains et dirigeants du Capitole ont créé un lieu de spectacle : l’Arène (du latin arena, ae, f. : le sable, l’arène).

   Les téléspectateurs des Hunger Games égalent ainsi en délectation voyeuriste les spectateurs des jeux du cirque romains. De même que les Romains s’étaient créé une large palette de spectacles violents (duels de gladiateurs, combats de masse, chasses, batailles navales et autres condamnations aux bêtes), les organisateurs des Hunger Games conçoivent en direct des scénarios variés pour la mort spectaculaire de chaque candidat.

   Tout comme les gladiateurs à Rome, les concurrents des Hunger Games ont le statut de véritables stars. Dans les deux cas, les spectateurs peuvent influencer les mises à mort, selon qu’ils ont été séduits ou non par la prestation des concurrents.

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II. Dura lex, sed lex

   D’un autre côté, l’obligation des 12 districts de fournir chaque année des tributs (un garçon et une fille) pour participer aux Hunger Games en expiation d’une révolte initiée 75 ans plus tôt par les habitants du district 13 aujourd’hui rayé de la carte, ne va pas sans rappeler les lois de la guerre dans l’Antiquité qui contraignaient un peuple vaincu à founir son quota d’otages ou d’esclaves. Le slogan de l’affiche du film l’annonçait déjà : « nous serons tous spectateurs », c’est-à-dire passifs et privés de notre liberté d’agir.

   Dans cette droite ligne, les exécutions sur-médiatisées des tributs au cours du jeu par des moyens aussi sadiques que variés font écho aux exécutions publiques de la Rome Antique : condamnation exotique des parricides (fouettés, enfermés dans un sac avec un chien affamé, un singe, un coq et un serpent, puis jetés dans le Tibre), exposition du corps des criminels exécutés sur les marches des escaliers des Gémonies (scalae gemoniae), esclaves récalcitrants fouettés en plein forum attachés à la colonne Maenia…

   A Panem comme à Rome, l’objectif avoué de ces condamnations publiques est bien d’intimider la population et de la garder sous contrôle.

   Les Hunger Games font partie de la vie sociale (chaque habitant est tenu de regarder les retransmissions télévisées) de même que les jeux du cirque dans la Rome antique. Rappelons qu’une indemnité publique était versée aux plus pauvres pour compenser la journée de travail manquée pour pouvoir assister aux jeux.

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III. Hunger Games et olympisme

   Les Hunger Games présentent également des similitudes évidentes avec les jeux olympiques.

   Tout d’abord, la devise « May the odds be ever in your favour » qui ouvre le massacre des tributs et platement traduite dans la version française par « puisse le sort vous être toujours favorable » fait clairement allusion aux puissances supérieures (divinités ?) en l’honneur desquelles les jeux sont organisés.

   De même, les vainqueurs des jeux olympiques et des Hunger Games ainsi que leur ville d’origine reçoivent une récompense qui leur permet de vivre dans l’abondance jusqu’à la fin de leur vie.

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IV. Rite initiatique

   Enfin, les Hunger Games, dont les concurrents sont âgés de 12 à 18 ans, rappellent étrangement les rites de passages antiques imposés aux jeunes pour passer à l’âge adulte.

   On pense évidemment à l’Agogé (ἀγωγή), l’éducation militaire sévère et violente imposée aux jeunes spartiates.

« On envoyait chaque jeune homme nu, en lui enjoignant d’errer toute une année à l’extérieur, en volant ce dont il avait besoin pour subsister, de manière à n’être visible pour personne. Ceux qui avait été vus quelque part étaient châtiés. » scholie de Platon

« Il s’agissait encore de sortir de la ville en armes et de massacrer autant d’esclaves que possibles. » Aristote

   A Athènes, les jeunes guerriers devaient quant à eux survivre dans les bois, tandis que les concurrents des Hunger Games évoluent dans une jungle épaisse.

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V. Les Romains de la décadence : la critique de la société

   Comme l’empire romain, le paysage d’Hunger Games est une société coupée en deux, dominée par une capitale corrompue et avide.

   Le Président Snow exerce en fait le pouvoir d’un empereur. Il habite une grande ville appelée Capitole, référence à l’une des sept collines de Rome, la plus importante en fait puisque c’est sur celle-ci qu’était bâti le temple de Jupiter dit Capitolin, protecteur de Rome comme Athéna l’était d’Athènes.

   Le pouvoir centralisé du Capitole, à l’aide de garnisons, administre les douze districts d’une main de fer à la façon des empereurs romains qui déléguaient un gouverneur dans chaque province de l’empire.

   Les habitants du Capitole vivent dans l’abondance et le luxe, voire la luxure comme la noblesse de la Rome impériale, pendant que les habitants des provinces sont pauvres et vertueux.

   Cette représentation dichotomique remonte à l’historien romain Tacite (56-117) qui dans son Germania et son De Agricola présente le contraste entre les Germains et Bretons primitifs mais libres et les Romains décadents qui ont perdu leur vertu sous le règne des Césars.

  Cela explique pourquoi les personnages négatifs du Capitole portent des prénoms d’origine latine. Le président s’appelle Coriolanus Snow, le producteur de l’émission de télé-réalité, Seneca Crane, le Maître de Cérémonie, Caesar Flickerman et son assitant Claudius Templesmith. Cato Hadley est le sanguinaire tribut volontaire du district 2.

   Du côté des « gentils », seul Cinna, le styliste de Katniss interprété par Lenny Kravitz, porte un nom d’origine latine, peut-être parce qu’avant de se ranger du côté de Katniss, il était un des rouages des Hunger Games.

   Le Capitole de Suzanne Collins renvoie bien sûr également au Capitole de Washington qui sert de siège au Congrès, le pouvoir législatif des États-Unis. Et avec le président Snow – qui n’est pas blanc comme neige –, on peut lire dans Hunger Games, une sévère critique de la société américaine et plus largement du monde moderne où pouvoir et argent sont détenus par une infime minorité qui prospère en exploitant le reste de la population.

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Les adaptations cinématographiques

=> interview accordée à La Radio Télévision Suisse le 24 novembre 2014.

Adaptation du Tome 1 : Hunger Games

   Le récit commence donc par la « moisson » des tributs des douze districts qui renvoient comme nous l’avons dit aux cycles athénien et crétois. Vient ensuite la parade des tributs qui consiste bien sûr en un défilé costumé des couples de chaque district montés sur des biges (chars romains à deux roues tirés par deux chevaux) qui n’ont vraiment rien de futuriste.

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   Futuristes (et bien kitshs surtout !) les costumes le sont quant à eux. On retiendra seulement les costumes du district 2 qui rappelleront au choix les attributs d’Hermès – Mercure ou la version Comics du Thor de la mythologie nordique,

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mais aussi la parure du district 11, libre interprétation de la couronne de laurier antique… en aluminium.

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   Dès le début du jeu, les candidats doivent faire un choix crucial : s’évanouir dans la nature afin d’éviter les coups de leurs adversaires ou essayer, à leurs risques et périls, de récupérer vivres et équipements dans une corne d’abondance métallique aux allures d’avion furtif, vague réminiscence de la corne d’abondance grecque antique (cornu copiae en latin), objet mythologique en forme de corne de ruminant ou de coquille de triton utilisé par Ploutos, dieu de l’abondance et de la richesse.

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   Dans ce premier opus de la trilogie Hunger Games, la mort de la petite Rue (âgée de 12 ans comme la soeur de l’héroïne Katniss) du district 11, dont la population semble essentiellement noire, va déclencher les premières rébellions contre le pouvoir, qui ne vont pas sans évoquer les révoltes serviles de l’Antiquité et la condition des noirs américains.

   Enfin, les derniers participants à ces Hunger Games seront dévorés par des monstres créés de toutes pièces pour le jeu au nombre de trois puis cinq, sorte de chiens-Cerbères impitoyables.

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Adaptation du Tome 2 : L’embrasement

à venir

Adaptation du Tome 3 : La révolte 1/2

à venir

Adaptation du Tome 3 : La révolte 2/2

à venir

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N’hésitez pas à nous proposer vos analyses et remarques sur la trilogie Hunger Games en utilisant la fonction “laisser un commentaire” en haut de l’article.

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A propos Robert Delord

Enseignant Lettres Classiques (Acad. Grenoble) Auteur - Conférencier - Formateur : Antiquité et culture populaire - Président de l'association "Arrête ton char !" - Organisateur du Prix Littérature Jeunesse Antiquité

15 15 réactions

  1. “des couples de chaque district montés sur des chars tirés par deux chevaux (bigles) qui n’ont vraiment rien de futuriste”

    A moins que je ne me fourvoie, et ne fasse preuve d’outrecuidance, les chars tirés par deux chevaux n’étaient-ils pas des biges, à moins qu’ils soient malvoyants ? Lapsus clavi ?

  2. En tout cas, j’ai vu le premier opus il y a quelques temps, et ne l’avais considéré que comme un énième exemple de divertissement hollywoodien. Je m’aperçois à la lecture de ce billet que je l’ai regardé avec des œillères. Il y a effectivement nombre de références, ou tout au moins de clins d’œil à la mythologie antique. Merci pour toutes ces remarques bien vues !

  3. Bonjour, j’ai regardé à mon tour le premier volet de la saga et j’ai observé également des similitudes sur la mise en scène de l’arrivée dans l’arène : les monte-charges notamment qui rappellent ceux utilisés pour les bêtes sauvages et les gladiateurs dans les sous-sols du colisée et le châtiment du producteur, haut juge, ( ce dernier est invité à se suicider avec des baies à la suite de l’échec des jeux) qui renvoie à celui du lanista, qui trouvait la mort si les gladiateurs n’avaient pas rempli leur rôle de bons combattants.
    Merci encore pour cette analyse !

  4. Bravo pour cette chronique , très intéressant et assez amusant à lire lorsqu’on a déjà remarqué certains clins d’oeil , merci à vous.

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